raison d’une terminaison propre à la langue du mot qu’on veut éclaircir ; toutes les vraisemblances dont on voudrait l’appuyer ne prouveraient rien, parce qu’elles prouveraient trop : ainsi, avant de chercher l’origine d’un mot dans une langue étrangère, il faut l’avoir décomposé, l’avoir dépouillé de toutes ses inflexions grammaticales, et réduit à ses éléments les plus simples. Rien n’est plus ingénieux que la conjecture de Bochard sur le nom d’insula britannica, qu’il dérive de l’hébreu Baratanac, pays de l’étain, et qu’il suppose avoir été donné à cette île par les marchands phéniciens ou carthaginois qui allaient y chercher ce métal. Notre règle détruit cette étymologie : britannicus est un adjectif dérivé, où la grammaire latine ne connaît de radical que le mot Britan. Il en est de même de la terminaison celtique magum, que Bochard fait encore venir de l’hébreu mohun, sans considérer que la terminaison um ou us (car magus est aussi commun que magum) est évidemment une addition faite par les Latins pour décliner la racine celtique mug. La plupart des étymologistes hébraïsants ont été plus sujets que les autres à cette faute ; et il faut avouer qu’elle est souvent difficile à éviter, surtout lorsqu’il s’agit de ces langues dont l’analogie est fort compliquée et riche en inflexions grammaticales. Tel est le grec, où les augments et les terminaisons déguisent quelquefois entièrement la racine. Qui reconnaîtrait, par exemple, dans le mot ἧμμενος, le verbe ἅπτω, dont il est cependant le participe très-régulier ? S’il y avait un mot hébreu hemmen, qui signifiât comme ἧμμενος, arrangé ou joint, il faudrait rejeter cette origine pour s’en tenir à la dérivation grammaticale. J’ai appuyé sur cette espèce d’écueil, pour faire sentir ce qu’on doit penser de ceux qui écrivent des volumes d’étymologies, et qui ne connaissent les langues que par un coup d’œil rapide jeté sur quelques dictionnaires.
3o Une étymologie probable exclut celles qui ne sont que possibles. Par cette raison, c’est une règle de critique presque sans exception, que toute étymologie étrangère doit être écartée, lorsque la décomposition du mot dans sa propre langue répond exactement à l’idée qu’il exprime : ainsi celui qui guidé par l’analogie de parabole, paralogisme, etc., chercherait dans la préposition grecque παρὰ l’origine de parasol et parapluie, se rendrait ridicule.
4o Cette étymologie devrait être encore rebutée par une autre règle presque toujours sûre, quoiqu’elle ne soit pas entièrement générale, c’est qu’un mot n’est jamais composé de deux langues différentes, à moins que le mot étranger ne soit naturalisé par un long usage avant la composition, en sorte que ce mot n’ait besoin que d’être prononcé pour être entendu. Ceux même qui composent arbitrairement des mots scientifiques, s’assujettissent à cette règle, guidés par la seule analogie, si ce n’est lorsqu’ils joignent à beaucoup de pédanterie beaucoup d’ignorance, ce qui arrive quelquefois ; c’est pour cela que notre règle a quelques exceptions.
5o Ce sera une très-bonne loi à s’imposer, si l’on veut s’épargner bien des conjectures frivoles, de ne s’arrêter qu’à des suppositions bien appuyées sur un certain nombre d’inductions qui leur donnent déjà un commencement de probabilité, et les tirent de la classe trop étendue des simples possibles : ainsi, quoiqu’il soit vrai, en général, que tous les peuples et toutes les langues se sont mêlés en mille manières, et dans des temps inconnus, on ne doit pas se prêter volontiers à faire venir de l’hébreu ou de l’arabe le nom d’un village des environs de Paris. La distance des temps et des lieux est toujours une raison de douter ; et il est sage de ne franchir cet intervalle qu’en s’aidant