rents effets qui frappaient le plus leurs sens, des êtres pour les produire et y présider ; qu’on partageait entre ces êtres fantastiques l’empire de la nature arbitrairement, comme on partageait l’année entre plusieurs mois ; qu’on leur donnait des noms relatifs à leurs fonctions, et tirés de la langue du pays, parce qu’on n’en savait pas d’autre ; que par cette raison le dieu qui présidait à la navigation s’appelait Neptunus, comme la déesse qui présidait aux fruits s’appelait Pomona ; que chaque peuple faisait ses dieux à part et pour son usage, comme son calendrier ; que, si dans la suite on a cru pouvoir traduire les noms de ces dieux les uns par les autres, comme ceux des mois, et identifier le Neptune des Latins avec le Poséidon des Grecs, cela vient de la persuasion où chacun était de la réalité des siens et de la facilité avec laquelle on se prêtait à cette croyance réciproque, par l’espèce de courtoisie que la superstition d’un peuple avait, en ce temps-là, pour celle d’un autre : enfin j’attribuerais en partie, à ces traductions et à ces confusions de dieux, l’accumulation d’une foule d’aventures contradictoires sur la tête d’une seule divinité, ce qui a dû compliquer de plus en plus la mythologie, jusqu’à ce que les poètes l’aient fixée dans des temps postérieurs.
À l’égard de l’histoire ancienne, j’examinerais les connaissances que les différentes nations prétendent avoir sur l’origine du monde ; j’étudierais le sens des noms qu’elles donnent dans leurs récits aux premiers hommes, et à ceux dont elles remplissent les premières générations. Je verrais, dans la tradition des Germains, que Theut fut père de Mannus, ce qui ne veut dire autre chose, sinon que Dieu créa l’homme. Dans le fragment de Sanchoniuton, je verrais, après l’air ténébreux et le chaos, l’Esprit produire l’Amour ; puis naître successivement les êtres intelligents, les astres, les hommes immortels, et enfin, d’un certain vent Colpias et de la Nuit, Aeon et Prologonos, c’est-à-dire, mot pour mot, le Temps (représenté pourtant comme un homme) et le premier homme ; ensuite plusieurs générations, qui désignent autant d’époques des inventions successives des premiers arts. Les noms donnés aux chefs de ces générations sont ordinairement relatifs à ces arts, le Chasseur, le Pécheur, le Bâtisseur, et tous ont inventé les arts dont ils portent le nom. À travers toute la confusion de ce fragment, j’entrevois bien que le prétendu Sanchoniaton n’a fait que compiler d’anciennes traditions qu’il n’a pas toujours entendues ; mais à quelque source qu’il ait puisé, peut-on jamais reconnaître dans son fragment un récit historique ? Ces noms dont le sens est toujours assujetti à l’ordre systématique de l’invention des arts, ou identique avec la chose même qu’on raconte, comme celui de Prologonos, présentent sensiblement le caractère d’un homme qui dit ce que lui ou d’autres ont imaginé et cru vraisemblable, et répugnent à celui d’un témoin qui rend compte de ce qu’il a vu ou de ce qu’il a entendu dire à d’autres témoins. Les noms répondent aux caractères dans les comédies, et non dans les sociétés ; la tradition des Germains est dans le même sens : on peut juger par là de ce qu’on doit penser des auteurs qui ont osé préférer ces traditions informes à la narration simple et circonstanciée de la Genèse.
Les anciens expliquaient presque toujours les noms des villes par le nom de leurs fondateurs ; mais cette façon de nommer les villes est-elle réellement bien commune ? Et beaucoup de villes ont-elles eu un fondateur ? N’est-il pas arrivé quelquefois qu’on ait imaginé le fondateur et son nom d’après le nom de la ville, pour remplir le vide que l’histoire laisse toujours dans les premiers temps d’un peuple ? L’étymologie peut, dans certaines oc-