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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/780

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cessairement, et qu’on peut démontrer la seule possible par la voie d’exclusion ; ou il a pu être produit par plusieurs causes.

Si c’est le premier cas, alors la certitude de la cause est précisément égale à celle de l’effet : c’est sur ce principe qu’est fondé le raisonnement : Quelque chose existe, donc de toute éternité il a existé quelque chose ; et tel est le vrai fondement des démonstrations métaphysiques de l’existence de Dieu. Cette même forme de procéder s’emploie aussi le plus communément dans une hypothèse avouée, d’après des lois connues de la nature ; c’est ainsi que, les lois de la chute des graves étant données, la vitesse acquise d’un corps nous indique démonstrativement la hauteur dont il est tombé.

L’autre manière de remonter des effets connus à la cause inconnue consiste à deviner la nature, précisément comme une énigme, à imaginer successivement une ou plusieurs hypothèses, à les suivre dans leurs conséquences, à les comparer aux circonstances du phénomène, à les essayer sur les faits, comme on vérifie un cachet en l’appliquant sur son empreinte ; ce sont là les fondements de l’art de déchiffrer, ce sont ceux de la critique des faits, ceux de la physique ; et puisque ni les êtres extérieurs, ni les faits passés, n’ont avec la sensation actuelle aucune liaison dont la nécessité nous soit démontrée, ce sont aussi les seuls fondements possibles de toute certitude au sujet de l’existence des êtres extérieurs et de notre existence passée. Ce n’est point ici le lieu de développer comment ce genre de preuves croit en force, depuis la vraisemblance jusqu’à la certitude, suivant que les degrés de correspondance augmentent entre la cause supposée et les phénomènes ; ni de prouver qu’elle peut donner à nos jugements toute l’assurance dont ils sont susceptibles, et que nous pouvons désirer. Cela doit être exécuté aux articles Certitude et Probabilité. À l’égard de l’application de ce genre de preuves à la certitude de la mémoire et à l’existence des corps, voyez Identité personnelle, Mémoire et Immatérialité.


LETTRES SUR LE SYSTÈME DE BERKELEY[1].

Extrait de la première lettre à M. l’abbé de……, contre les opinions de Berkeley. (Octobre 1750.)

Berkeley prouve que la matière existante hors de nous n’est point l’objet immédiat aperçu par notre âme. Comment prouvera-t-il que cet être existant hors de nous, cette cause de nos sensations, ce centre commun où elles aboutissent, ce que tous les hommes appellent matière, n’existe pas ?

  1. Du système de Berkeley. — On vient de voir, dans l’article Existence, que M. Turgot se proposait d’employer plusieurs articles suivants, et notamment ceux Immatérialisme, Probabilité, Sensation, Mémoire, à réfuter ce philosophe plus ingénieux que solide, qui, renouvelant et exagérant le pyrrhonisme, a prodigué la plus grande subtilité pour tâcher d’établir que les faits qui nous paraissent les mieux constatés sont, ou du moins peuvent être des illusions ; que la réalité des corps est très-incertaine, et qu’il n’est pas sûr que l’univers existe.

    C’est un saint évêque, un profond théologien, qui a exposé ces étranges idées, et les a soutenues avec une très-fine dialectique.

    Sans adopter sa théorie de l’incertitude, on pourrait douter qu’il ait véritablement