des êtres composés. Cette figure, il est vrai, et ce mouvement, nos idées les représentent ; le comment est aussi inconcevable dans son système que dans le nôtre. La difficulté est dans le fait même, et le fait est dans tous les systèmes.
Son raisonnement tiré de la comparaison entre les qualités premières et les qualités secondaires, ne vaut pas mieux. Il est sur qu’on est très-fondé à soutenir en même temps que les couleurs, le goût, etc., ne sont que des modifications de notre âme, et que l’étendue existe hors de nous, non pas à la vérité parce que je conçois l’étendue indépendamment d’aucune couleur, et que je ne puis concevoir la couleur sans étendue, mais parce que je sais que le goût, les couleurs, etc., sont produits en moi par les mouvements physiques de mes organes.
Il en est bien de même de l’idée de l’étendue : aussi n’est-ce pas mon idée de l’étendue qui existe hors de moi ; c’est la matière étendue, dont j’ai prouvé l’existence par des arguments qu’on ne saurait appliquer aux couleurs. Il suffit, pour expliquer l’ordre des idées et des sensations, que les rayons visuels puissent exciter en nous les sensations des couleurs, etc., ce qu’ils peuvent faire par le seul mouvement, au lieu qu’ils ne peuvent nous donner l’idée de l’étendue sans former entre eux des angles, et par conséquent sans supposer l’étendue existante hors de nous.
Berkeley n’aurait pas ainsi confondu l’étendue avec ce que les anciens philosophes appelaient qualités secondaires, s’il avait bien analysé la manière dont nous acquérons par les sens l’idée de l’étendue. Les rayons de lumière dessinent sur la rétine un tableau dont chaque point est l’extrémité du rayon. Comme les rayons, suivant leurs différentes vitesses, excitent en nous le sentiment des différentes couleurs, chaque corps a, sur ce tableau, une image qui le distingue. Si l’âme rapportait sa sensation au point où les rayons se réunissent, elle n’aurait aucune idée, parce qu’on ne peut avoir idée de couleur sans avoir idée d’étendue. Si elle rapportait sa sensation à la rétine, on verrait les objets à l’envers ; mais, comme elle rapporte les sensations à une distance prise sur la longueur du rayon, la sensation qui répond à chaque rayon fait un point dans un tableau idéal supposé à une certaine distance de l’œil, et qui se trouve ainsi tracé par l’assemblage de chaque point de couleur particulière. L’idée de l’étendue nous vient donc par l’assemblage des points auxquels nous rapportons nos sensations, quelle que soit l’espèce de sensation. — Non-seulement chaque couleur, en formant une sensation absolument différente des autres, nous donne cependant une idée pareille de l’étendue, mais nous la recevons encore de cette sensation de résistance que nous fait éprouver le toucher ; en un mot, nos sensations sont en quelque sorte les éléments et les points du tableau que l’âme se fait de l’étendue.
Ce qui prouve ceci est que nous ne pouvons imaginer l’étendue sans couleur, quand nous nous la représentons comme existant à quelque distance de nous, et qu’en même temps nous en recevons une idée par le toucher, qui semble n’avoir nul rapport à celles que donnent les couleurs ( parce que la sensation n’en a point effectivement), quoique, par rapport aux conséquences et aux propriétés géométriques, l’idée soit absolument la même. Nous n’avons que deux sens qui nous donnent une idée des figures, parce qu’aucun autre ne nous fournit de sensations que nous puissions rapporter à plusieurs points déterminés. — Le son, quoiqu’il nous donne quelquefois