siper, que quand elles sont plus enflées. — Voyez Xercès couvrant la Grèce d’un million de soldats, et Annibal aux portes de Rome : le premier, il est vrai, n’était qu’un despote ; mais le second était un héros.
— Dans tous les temps il y a un certain nombre de pédants qui, pour se donner un air de gens raisonnables, déclament contre ce qu’ils appellent le mauvais goût de leur siècle, et louent avec excès tout ce qui est du siècle précédent. Du temps de Corneille, on n’osait pas soupçonner qu’il égalât Malherbe. Racine, cet admirable peintre des passions, a presque passé pour un faiseur de madrigaux. Et quand il s’agit de fixer le mérite de notre siècle, à peine paraît-on songer qu’il y ait un Voltaire. Si toutes ces critiques qui ont autrefois attaqué les ouvrages de tant d’hommes immortels, pouvaient sortir de l’obscurité dans laquelle elles ont été plongées presque en naissant, tous ces insectes du Parnasse, qui s’enorgueillissent de piquer les plus grands hommes au talon, rougiraient de la ressemblance.
On peut apprendre par les critiques que de Visé publiait autrefois contre Molière et Racine, par celles de Scudéri[1] contre Corneille, quel sera un jour le sort de celles qu’on fait contre Mérope, contre Alzire, contre l’Essai sur l’esprit des nations, contre tant d’autres ouvrages qui font honneur à notre siècle. Quand donc les hommes pourront-ils juger avec impartialité, et ne considérer dans les ouvrages que les ouvrages mêmes ? Avec les femmes, les absents ont quelquefois tort ; avec les littérateurs critiques, ce sont toujours les présents.
— Sur La Motte et Fontenelle. — L’ennui du beau produisit le joli. — Cette jolie phrase a été lancée comme une satire contre Fontenelle et La Motte, plutôt que comme une raison de la décadence des lettres et du goût ; car le beau n’ennuie point.
Examinons donc la vérité de l’application qu’on a faite de cette prétendue maxime.
J’observe, en premier lieu, qu’on ne s’est point avisé de l’appliquer à la décadence des lettres en Grèce. Je ne vois pas qu’on ait avec justice reproché à aucun auteur grec d’avoir gâté le goût de ses compatriotes en courant après l’esprit. Il est vrai qu’on prétend que Démétrius de Phalère fut le premier qui, s’attachant à plaire aux oreilles plus qu’à toucher les cœurs, rendit en Grèce l’éloquence molle et efféminée, et préféra une fausse douceur à une véritable majesté. — Mais on oublie que la liberté de la Grèce était alors perdue. Et sur quoi l’éloquence se serait-elle assise ? On est trop heureux, en ce cas, quand on conserve le bien-dire.
De plus, on ne remarque pas que les reproches que l’on fait à Démétrius de Phalère sont diamétralement opposés à ceux que Quintilien fait à Sénèque, et qu’on a dernièrement renouvelés contre La Motte avec beaucoup d’injustice.
Sénèque est un déclamateur encore plus didactique qu’ampoulé, et on lui a reproché d’avoir perdu l’harmonie de la langue latine. — À l’égard de La
- ↑ Les observations de Scudéri contre le Cid seraient aujourd’hui absolument ignorées si, en les imprimant avec les œuvres de Corneille, on ne les eût en quelque sorte attachées au char de triomphe de ce grand homme, à peu près comme chez certains peuples tartares les rois traînent après eux, dans toutes leurs courses, les cadavres des ennemis qu’ils ont vaincus, tout pourris et tombant en lambeaux ; ou comme les tombeaux de marbre enserrent les corps morts pourris dans leur sein, et en conservent longtemps les restes hideux. (Note de l’auteur.)