pourrait se plaindre de cette fixation, qui laisserait le seigneur et le censitaire profiter tour à tour de toute l’étendue des variations que le cours naturel d’un commerce libre peut apporter au prix des grains. Un prix plus fort passe cette limite, et peut être regardé comme une circonstance extraordinaire et comme un commencement de disette. Or, dans les temps de disette, il est humain et même juste que la loi vienne au secours du censitaire accablé de tous côtés : le propriétaire de la rente, que la cherté enrichit, ne pourrait, sans montrer une avidité odieuse, prétendre tirer de la cruelle circonstance où se trouve son tenancier un profit encore plus exorbitant. C’est à votre prudence, Monseigneur, à peser les avantages que je crois voir dans la loi que je prends la liberté de vous proposer.
Dans le cas où vous vous y détermineriez, je ne crois pas qu’il fût nécessaire d’y insérer la modification dont j’ai eu l’honneur de vous parler relativement aux rentes assises sur des moulins. Cet objet, envisagé sous le point de vue d’une loi générale, me paraît perdre de son importance, et ne pas mériter qu’on rende la loi plus compliquée par une exception. On doit prévoir que, par une suite de la liberté rendue au commerce des grains, l’usage de payer les meuniers en nature s’abrogera, et qu’on y substituera celui de les payer en argent. Alors leur sort ne sera point amélioré par la cherté des grains, et il n’y aura aucune raison de les traiter plus défavorablement que les autres censitaires.
Mais il serait toujours indispensable de joindre aux deux dispositions qui composeraient la loi générale, une disposition particulière relative au moment actuel, pour annuler, ainsi que l’a fait le Parlement de Bordeaux, tous les actes déjà faits depuis la cherté de 1769, afin d’obliger les censitaires à payer sur le pied de l’excessive valeur actuelle des grains.
Si vous vous bornez à une déclaration particulière, momentanée et locale, il paraît juste de l’étendre aux provinces qui ont souffert cette année de la disette. Je ne suis pas assez instruit de l’état des provinces circonvoisines pour pouvoir vous tracer la limite des cantons affligés ; mais sans doute les Avis que les différents intendants ont envoyés à M. le contrôleur-général vous donneront toutes les lumières que vous pourrez désirer sur ce point de fait.
Je suis avec respect, Monseigneur, etc.