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être plus facile, de trouver quelque seigneur qui, ayant de grandes terres, voulût les faire cultiver à la manière anglaise, et avoir à cet effet un régisseur anglais ; mais cela même ne serait point encore aisé, la plus grande partie des seigneurs aimant mieux avoir des fermiers que des régisseurs. De plus, ceux à qui l’arrangement dont je vous parle conviendrait, exigeraient certainement que des personnes bien connues leur répondissent des talents, de la probité et de l’habileté dans la culture de la personne qui se proposerait. Si votre ami est toujours dans les mêmes idées, il est nécessaire que vous me mandiez son nom, et que vous entriez dans les détails de ce qu’il a fait jusqu’à présent, des biens qu’il a cultivés ou régis, et des personnes qui le connaissent et qui peuvent répondre de lui. J’ai l’honneur d’être très-profondément, etc.


Lettre XII. — Au docteur Price, sur les Constitutions américaines[1].
(À Paris, le 22 mars 1778.)

M. Franklin m’a remis, monsieur, de votre part, la nouvelle édition de vos Observations sur la liberté civile, etc. Je vous dois un double remerciement, lo de votre ouvrage, dont je connais depuis longtemps le prix, et que j’avais lu avec avidité, malgré les occupations multipliées dont j’étais assailli, lorsqu’il a paru pour la première fois ; 2o de l’honnêteté que vous avez eue de retrancher l’imputation de maladresse que vous aviez mêlée au bien que vous disiez d’ailleurs de moi dans vos Observations additionnelles.

J’aurais pu la mériter, si vous n’aviez eu en vue d’autre maladresse que celle de n’avoir pas su démêler les ressorts d’intrigues que faisaient jouer contre moi des gens beaucoup plus adroits en ce genre que je ne le suis, que je ne le serai jamais, et que je ne veux l’être. — Mais il m’a paru que vous m’imputiez la maladresse d’avoir choqué grossièrement l’opinion générale de ma nation ; et, à cet égard, je crois que vous n’aviez rendu justice ni à moi, ni à ma nation, où il y a beaucoup plus de lumières qu’on ne le croit généralement chez vous, et où peut-être il est plus aisé que chez vous même de ramener le public à des idées raisonnables. J’en juge, d’après l’infatuation de votre nation sur ce projet absurde de subjuguer l’Amérique, qui a duré jusqu’à ce que l’aventure de Burgoyne ait commencé à lui dessiller les yeux. J’en juge, par le système de monopole et d’exclusion qui règne chez tous les écrivains politiques sur le commerce (j’excepte M. Adam Smith et le doyen Tucker), système qui est le véritable principe de votre séparation d’avec vos colonies. J’en juge, par tous vos écrits polémiques sur les questions qui vous agitent depuis une vingtaine d’années, et dans lesquels, avant que le vôtre eût paru, je ne me rappelle presque pas d’en avoir lu un où le vrai point de la question ait été saisi.

Je n’ai pas conçu comment une nation qui a cultivé avec tant de succès toutes les branches des sciences naturelles, a pu rester si fort au-dessous

    la personne de l’infortuné Calas, rend facile à concevoir la justesse de cette remarque. (E. D.)

  1. Cette lettre, remarquable expression des idées politiques de Turgot, se trouve imprimée dans les Mémoires de Barrère. Quoique l’éditeur de ces Mémoires semble la donner comme une pièce inédite, elle figure tout entière dans la collection des œuvres de Turgot, publiées par Dupont de Nemours, qui date de 1810. (E. D.)