Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/817

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je vois, dans le plus grand nombre, l’imitation sans objet des usages de l’Angleterre. Au lieu de ramener toutes les autorités à une seule, celle de la nation, l’on établit des corps différents, un corps de représentants, un conseil, un gouverneur, parce que l’Angleterre a une Chambre des communes, une Chambre haute et un roi. On s’occupe à balancer ces différents pouvoirs : comme si cet équilibre de forces, qu’on a pu croire nécessaire pour balancer l’énorme prépondérance de la royauté, pouvait être de quelque usage dans des républiques fondées sur l’égalité de tous les citoyens ; et comme si tout ce qui établit différents corps n’était pas une source de divisions ! En voulant prévenir des dangers chimériques, on en fait naître de réels ; on veut n’avoir rien à craindre du clergé, on le réunit sous la bannière d’une proscription commune. En l’excluant du droit d’éligibilité, on en fait un corps, et un corps étranger à l’État. Pourquoi un citoyen qui a le même intérêt que les autres à la défense commune de sa liberté et de ses propriétés, est-il exclu d’y contribuer de ses lumières et de ses vertus, parce qu’il est d’une profession qui exige des vertus et des lumières ?

Le clergé n’est dangereux que quand il existe en corps dans l’État ; que quand on croit à ce corps des droits et des intérêts particuliers ; que quand on a imaginé d’avoir une religion établie par la loi, comme si les hommes pouvaient avoir quelque droit ou quelque intérêt à régler la conscience les uns des autres ; comme si l’individu pouvait sacrifier aux avantages de la société civile les opinions auxquelles il croit son salut éternel attaché ; comme si l’on se sauvait ou se damnait en commun. Là où la tolérance, c’est-à-dire l’incompétence absolue du gouvernement sur la conscience des individus, est établie, l’ecclésiastique, au milieu de l’assemblée nationale, n’est qu’un citoyen, lorsqu’il y est admis ; il redevient ecclésiastique lorsqu’on l’en exclut[1].

Je ne vois pas qu’on se soit assez occupé de réduire au plus petit nombre possible les genres d’affaires dont le gouvernement de chaque État sera chargé ; ni à séparer les objets de législation de ceux d’administration générale, et de ceux d’administration particulière et locale ; à constituer des assemblées locales subalternes qui, remplissant presque toutes les fonctions de détail du gouvernement, dispensent les assemblées générales de s’en occuper, et ôtent aux membres de celles-ci tout moyen et peut-être tout désir d’abuser d’une autorité qui ne peut s’appliquer qu’à des objets généraux, et par là même étrangers aux petites passions qui agitent les hommes.

Je ne vois pas qu’on ait fait attention à la grande distinction, la seule fondée sur la nature, entre deux classes d’hommes, celle des propriétaires de terres, et celle des non-propriétaires ; à leurs intérêts et par conséquent I leurs droits différents relativement à la législation, à l’administration de la justice et de la police, à la contribution aux dépenses publiques et à leur emploi.

Nul principe fixe établi sur l’impôt : on suppose que chaque province peut se taxer à sa fantaisie, établir des taxes personnelles, des taxes sur les consommations, sur les importations, c’est-à-dire se donner un intérêt contraire à l’intérêt des provinces.

On suppose partout le droit de régler le commerce ; on autorise même les

  1. Voyez le développement de ces opinions dans le Conciliateur et les Lettres sur la tolérance. (E. D)