Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/100

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se trouvait partout ailleurs désorienté, dépaysé, ennuyé. L’histoire parle d’un individu qui s’avisa de quitter London Bridge quand il avait soixante-onze ans et voulut aller planter ses choux à la campagne. Mal lui en prit, car il ne fit que remuer, s’agiter dans son lit, il ne pouvait dormir, il avait le sommeil agité, tourmenté, lourd, accablant. Quand il fut à bout d’efforts, il courut au vieux gîte, comme eût fait un voleur qu’on poursuit ; il était pâle, hagard, il ressemblait à un spectre. Mais à peine eut-il repris ses anciennes habitudes, son ancien train de vie, que le calme lui revint et lui ramena ses rêves de bonheur, au doux murmure de l’eau qui clapotait sous les arches du pont, dont le tablier tremblait et bondissait et craquait avec un fracas pareil à celui du tonnerre.

Au temps dont nous parlons, London Bridge n’était pas seulement intéressant, il était aussi instructif, car il n’était pas rare d’y trouver à l’un ou à l’autre bout la tête livide et sanglante de quelque haut personnage que l’on offrait en spectacle pour donner au peuple une notion sensible de la justice et de la puissance royales.

Mais laissons là ces digressions.

Hendon habitait, depuis quelques jours, la petite hôtellerie du pont. Il venait d’arriver avec le petit roi à la porte de son logis, quand une voix l’arrêta brusquement :

— Ah ! te voilà enfin. Je te jure bien que tu ne nous feras plus attendre à l’avenir, et si tu peux apprendre quelque chose à avoir les os rompus et broyés, je te garantis que tu n’auras rien perdu à patienter.

En disant ces mots, John Canty avait empoigné le roi.