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Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/167

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à des sorcières, toutes l’air impudent, cynique, la bouche pleine d’injures et de paroles obscènes, toutes sales, immondes, respirant le vice et la turpitude ; trois enfants à la mamelle, le visage rempli de pustules ; un couple de chiens faméliques, la corde au cou, ayant pour office ordinaire de conduire les aveugles.

La nuit était venue ; l’ignoble tas de drôles avait achevé de faire ripaille, l’orgie avait commencé ; un énorme gobelet rouillé, dont le fond dessoudé laissait couler goutte à goutte un liquide âcre sentant l’eau-de-vie, passait de bouche en bouche.

Soudain, toutes les voix crièrent à l’unisson :

— La chanson ! la chanson ! Allons, Souris-Chauve, Dick, Boute-tout-Cuire !

Un des aveugles se leva, arracha les emplâtres qui cachaient ses yeux, et jeta la pancarte qu’il avait sur la poitrine, et où se trouvaient expliquées, tout au long, les causes de sa cécité de commande. Boute-tout-Cuire se débarrassa de sa jambe de bois qu’il lança par-dessus sa tête, et alla se poster, sur ses deux bons pieds, auprès de son collègue en gueuserie.

Aussitôt ils entonnèrent, avec un graissement rauque, une goualante[1], dont le refrain était chaque fois repris en chœur par toute la bande. Au dernier couplet de cette atroce cacophonie en argot intraduisible, l’enthousiasme, entretenu et chauffé par les libations, était arrivé au paroxysme ; tous braillaient et beuglaient à la fois, et l’on n’entendait plus qu’un affreux charivari de voix cassées, éraillées,

  1. Chanson de voleur.