Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/186

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l’accabla d’injures et on le menaça de le faire emprisonner comme vagabond, s’il ne passait pas son chemin.

La nuit arriva. Il était glacé, exténué ; il avait de grosses ampoules à la plante des pieds et n’avançait plus que péniblement. Il n’osa point s’asseoir, ni prendre haleine, car le froid l’envahissait aussitôt et lui paralysait tout le corps. À mesure qu’il s’engageait plus avant dans les ténèbres profondes et dans la vaste solitude, il éprouvait des sensations qu’il n’avait jamais eues, il découvrait des choses qu’il n’avait jamais connues. Par moments il entendait des voix qui approchaient, semblaient éclater tout à côté de lui, puis s’éteignaient dans le silence. Chose étrange, ces voix, quoique distinctes, n’appartenaient à personne, car il n’apercevait, ni à proximité ni au loin, aucun être animé ; seulement il croyait voir comme des apparitions informes qui passaient soudainement et disparaissaient aussitôt. Étaient-ce des spectres, des esprits ? Il n’eût osé l’affirmer, mais il le craignait, et il avait peur, et il frissonnait. Parfois il entrevoyait une lueur vacillante, mais si loin, si loin, qu’elle avait l’air de venir d’un autre monde. Parfois encore il percevait le son produit par les clochettes que portaient au cou les moutons ou les agneaux, mais ce son était vague, éloigné, indistinct. L’air était rempli de sourds beuglements qui se mouraient dans la nuit et la rendaient encore plus sinistre. De temps à autre, les hurlements d’un chien planaient sur l’immensité de la nature ensevelie dans le sommeil et se mariaient aux bruits confus de la forêt et de la plaine. Mais tous ces bruits venaient du bout de l’horizon. Aussi le pauvre petit roi se croyait-il dans un pays maudit, désolé, abandonné par les humains, et il se