Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/191

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les qualités désirables, ils valent mieux, sous beaucoup de rapports, que beaucoup d’hommes. Aussi n’hésita-t-il point à faire les avances.

Il se rapprocha du veau et lui passa la main sur le dos. Puis il lui vint à l’idée que ce veau pouvait lui rendre un précieux service. Il se leva, refit son lit, le tira jusqu’auprès du veau, se coucha à côté de lui, en lui glissant le bras sous le cou, ramena les couvertures, borda bien le veau, et se borda bien lui-même. Au bout de quelques minutes, il avait aussi chaud, il reposait aussi mollement que s’il eût été dans son lit de plume, sous les baldaquins dorés du palais de Westminster.

Alors aussi ses idées devinrent plus riantes ; il ne voyait plus la vie en noir ; il n’avait plus à supporter le spectacle du crime, à entendre l’ignoble langage du vice ; il n’avait plus à vivre au milieu des voleurs, des assassins, de tout ce qu’il y avait parmi les êtres humains de plus vil et de plus brutal. Il avait chaud ; il était abrité ; il était heureux.

Au dehors, le vent soufflait avec force, et souvent il s’engouffrait dans la grange dont il faisait craquer les vieilles poutres vermoulues, hurlant dans tous les coins, fouillant partout ; mais le roi ne s’en inquiétait point. Au contraire, maintenant qu’il était installé aussi confortablement que possible, cette rage du vent, secouant le toit avec force et arrachant les tuiles, tantôt éclatant en lamentations, tantôt mugissant avec fracas, il s’en amusait, il y prenait plaisir, comme il eût fait aux sons d’une musique qui l’aurait bercé. Il se serrait plus étroitement contre son ami ; il lui chatouillait malicieusement l’oreille. Il était si ravi de son sort, il avait si complètement dépouillé ses soucis, que peu à peu il se sentit envahi par la