Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/206

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— Je suis un archange !

Le roi eut un soubresaut.

— Ah ! mon Dieu ! se dit-il, pourquoi ai-je fui les voleurs ? Hélas ! me voici maintenant prisonnier d’un fou !

Une affreuse pâleur s’était répandue sur ses traits, où se peignait une morne épouvante.

L’ermite, entraîné par l’enthousiasme, poursuivit ses confidences :

— Je le vois, tu subis l’influence de l’air que l’on respire ici ! Tu trembles ! Tu as peur ! Je le lis dans tes yeux ! Personne ne pénètre dans cette atmosphère sans éprouver le vertige ! Car cette atmosphère est celle de la Cité de Dieu. J’y vole et j’en reviens en un clin d’œil. J’ai été élevé au rang d’archange il y a cinq ans ; des anges sont venus ici me confier cette haute et redoutable dignité. Leur présence remplissait cette cellule d’une éblouissante clarté. Ils s’agenouillèrent devant moi. Roi ! m’entends-tu ? Ils s’agenouillèrent devant moi, car j’étais plus grand qu’eux. J’ai marché dans les sentiers du Ciel, j’ai pris place parmi les patriarches, et je me suis entretenu avec eux. Touche cette main, n’aie pas peur, touche-la. Fort bien. Tu as touché la main qu’ont serrée Abraham, Isaac, Jacob, car j’ai été assis sur les marches du trône de Dieu ! J’ai vu Jehovah face à face !

Il s’arrêta pour juger de l’effet produit par ses paroles ; puis son visage changea soudainement d’expression ; il se redressa, et d’un accent plein d’amertume :

— Je suis un archange, dit-il, mais j’ai été aussi prophète, comme Isaïe et Ézéchiel.

Il se tut, regarda le roi avec effarement, puis d’une voix sépulcrale, il ajouta :