Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/298

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— Femme, je ne vous connais pas !

Ces mots étaient tombés des lèvres de Tom Canty malgré lui. À peine les eut-il prononcés, qu’il se sentit piqué au cœur comme par une vipère. Il éprouva un remords affreux d’avoir traité ainsi sa mère. Il la vit attacher sur lui ses yeux éteints, il la vit s’engloutir dans l’océan humain. Elle avait l’air si malheureuse, si navrée ! Alors la honte lui monta au front. Il eut horreur de sa puissance, de cette royauté qu’il avait volée, de ces grandeurs qui lui faisaient renier sa mère, et il lui sembla que ses riches habits tombaient de son corps l’un après l’autre, et ne le laissaient plus couvert que de guenilles infectes, et quand il se revit dans ce costume d’Offal Court, sous lequel il n’eût pas rougi d’embrasser celle qu’il avait tant aimée, il recouvra le bonheur qu’il croyait perdu.

Le cortège avançait toujours. Et toujours des splendeurs nouvelles apparaissaient aux regards. Et toujours les tempêtes de hourras saluaient Tom Canty.

Mais Tom Canty ne voyait plus rien, n’entendait plus rien. Tout ce qui l’entourait n’existait plus pour lui. Sa royauté n’avait plus pour lui aucun attrait, le charme était rompu. Toutes ces voix qui s’élevaient pour célébrer sa gloire retentissaient à ses oreilles comme de sinistres reproches. Sa conscience le rongeait comme eût fait un poison lent. Sa pourpre royale le brûlait comme une robe de Nessus.

— Oh ! se disait-il, plût à Dieu que je fusse libre, que je pusse m’arracher à cette captivité !

Sa pensée, remontant le cours des dernières semaines qui venaient de se passer, le ramenait au moment où, désespérant de voir revenir le prince, il suppliait le Ciel de lui rendre ses guenilles.