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Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/299

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Le cortège avançait toujours, ondoyant comme un immense serpent de feu par les rues étroites de la vieille Cité, par les flots du peuple en délire. Et toujours le Roi marchait devant lui, la tête baissée, le regard perdu dans le vide, ne voyant plus qu’une chose : le visage pâle et hagard de sa mère et les yeux caves de ce visage attachés sur lui !

— Largesse ! Largesse !

Ce cri retentissait à chaque pas. Tom ne l’entendait point.

— Vive Édouard d’Angleterre !

On eût dit que la terre tremblait jusque dans ses entrailles. Et le Roi n’entendait point, il ne répondait point.

Tout ce qu’il percevait, c’était la voix qui ne cessait de crier au fond de son cœur :

— Femme, je ne vous connais pas !

Et ces paroles avaient comme le son d’un glas funèbre ; elles étaient comme l’appel suprême de quelqu’un que l’on a poussé dans un abîme, et que l’on laisse périr, quand il suffirait, pour le sauver, d’étendre la main.

Et les magnificences s’entassaient de rue en rue, de passage en passage, les prodiges surgissaient de partout avec une splendeur inouïe, les salves d’artillerie ébranlaient les airs, les acclamations de la multitude, les transports d’allégresse se multipliaient à l’infini, croissant d’instant en instant ; l’immense joie d’un peuple éclatait en un ensemble où tonnaient à l’unisson cent mille voix ; — et le Roi semblait ne donner plus signe de vie, car il ne pouvait arracher de son cœur le remords qui le dévorait.

Et petit à petit cette tristesse devint contagieuse ; la joie populaire parut baisser comme un grand