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Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/324

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de dormir comme un loir. Il aurait voulu déjeuner ; mais déjeuner, quand on a les poches vides, était en 1547, à Londres, un problème aussi insoluble qu’il l’est encore aujourd’hui. Mendier, il n’y songeait point : on ne mendie pas quand on est le maître légitime, quoique méconnu, de domaines comme ceux de Hendon Hall. Engager son épée ? Autant aurait valu forfaire à l’honneur. Engager ses habits ? Il l’eût fait volontiers, mais il aurait trouvé plus aisément à emprunter sur une maladie contagieuse que sur ses loques.

À midi il marchait encore ; mais il n’explorait plus les quartiers pauvres, il fendait les flots de mendiants qui suivaient le cortège de l’inauguration, comme les requins suivent un navire, et il se disait que probablement ces royales magnificences avaient attiré son pauvre petit lunatique. Il consentit donc à se faire requin à son tour, et il se mit à la remorque du cortège, traversant avec lui toutes les rues pavoisées, passant sous toutes les arcades, et se rapprochant peu à peu de Westminster et de l’abbaye.

Il rôda çà et là parmi la multitude entassée aux alentours, il joua des coudes et des poings, il interrogea, regarda, écouta, s’impatienta, s’alarma et finit par s’en aller, convaincu que son plan de campagne n’était point aussi infaillible qu’il l’avait cru, et décidé à y apporter des modifications pour le rendre plus pratique.

Il resta debout pendant longtemps à la même place, assez semblable au héron de la fable sur ses longs pieds. À force de creuser sa cervelle, il découvrit que si son plan de campagne n’avait pas réussi, c’est qu’au lieu de le suivre, il avait suivi le cortège, et qu’au lieu de fouiller les quartiers