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Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/325

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pauvres de Londres, il leur tournait le dos, car Westminster était au-delà de l’enceinte de la ville, bien loin. Ce qu’il y avait de plus fâcheux, c’est qu’il avait laissé passer une bonne partie de la journée sans aboutir à rien, et que son ventre commençait à n’avoir plus d’oreilles.

Il se trouvait en ce moment au bord de la Tamise en pleine campagne, dans un endroit où il n’y avait que des habitations riches, occupées par des gens qui, sans aucun doute, ne lui souhaiteraient pas la bienvenue, en le voyant nippé comme il l’était.

Heureusement il ne faisait pas froid. Il se coucha sur le lit que la nature donne gratuitement aux animaux et aux pauvres, et, étendu de son long à terre, le bras sous la tête en guise d’oreiller, abrité par une haie, il songea. Ses membres ne tardèrent pas à s’engourdir. Il entendit tonner le canon, il perçut les échos des acclamations poussées par les cent mille bouches des curieux, et il se dit :

— La cérémonie est achevée, le nouveau roi est couronné !

Et sur cette réflexion, très juste, il s’endormit. Il en avait grand besoin : il y avait plus de trente heures qu’il n’avait pas fermé l’œil. Quand il s’éveilla, c’était le 21 février.

Il se leva, raide, perclus, ankylosé, plus mourant de faim qu’un chat maigre, prit un bain dans le fleuve, mit son estomac à la raison en ingurgitant une ou deux pintes d’eau, et s’achemina, clopin-clopant, vers Westminster, en maugréant contre le sort qui lui avait fait perdre un temps si précieux. Les tiraillements de son estomac, qui ne paraissait pas satisfait, lui suggérèrent une nouvelle stratégie.