Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/330

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une vaste pièce, plus peuplée encore de beaux seigneurs, qui représentaient, cette fois, réellement la haute noblesse d’Angleterre, et à travers lesquels ils se frayèrent un passage. Puis l’officier de hallebardiers se plia en deux, dit à Miles d’en faire autant et d’ôter son chapeau, et le laissa là tout seul, au milieu de la pièce, tandis que tous les yeux se braquaient sur le pauvre diable, que tous les sourcils se fronçaient, et que toutes les lèvres se plissaient en souriant.

Miles Hendon se tâta pour s’assurer qu’il n’était pas halluciné. Devant lui, à cinq pas, sur une estrade, sous un dais, était assis le jeune Roi, la tête un peu inclinée, et semblant parler à une espèce d’oiseau de paradis, qu’à la cour on nommait un duc.

Miles se dit qu’il était déjà assez dur pour lui d’être condamné à mort, et qu’il était tout à fait barbare d’aggraver son supplice par cette nouvelle humiliation subie devant tout ce monde. Il souhaita que le Roi voulût bien se dépêcher, car il commençait à éprouver une titillation au bout des doigts en voyant plusieurs des effrontés qui l’entouraient s’approcher de lui avec un air passablement railleur.

En ce moment le Roi leva la tête, et Miles Hendon put contempler le visage de l’auguste souverain. Cette contemplation faillit lui donner un coup d’apoplexie. Il regarda le Roi face à face, et ses yeux se clouèrent sur ceux du redoutable monarque ; puis, on entendit une voix dont personne n’eût pu définir l’accent :

— Ah ! mon Dieu ! le roi du royaume des ombres et des rêves, sur son trône.

Miles avait pris sa tête dans ses mains et se tâtait le crâne, comme s’il avait été subitement frappé