Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/56

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prendre le parti de se taire. Il se sentait évidemment sur un terrain délicat. Lord Hertford fit un pas vers lui, le regarda dans le blanc des yeux, puis d’une voix brève :

— Parlez vite, dit-il, personne ne peut nous entendre ici. Vous dites que je me trompe…

— J’ai certainement une grande répugnance à prononcer la parole que j’ai sur les lèvres, et cela devant vous, mylord, qui êtes si proche parent de Son Altesse Royale. Mais je vous supplie de me pardonner mon langage s’il pouvait vous offenser. Ne vous semble-t-il point étrange, mylord, que sa maladie ait pu changer si complètement sa tournure et ses manières, non que cette tournure et ces manières aient cessé d’être celles d’un prince ; mais elles sont, — sur des riens, il est vrai, — si différentes de celles que nous avions coutume d’admirer en lui ! Ne vous semble-t-il point étrange que sa folie ait effacé de sa mémoire jusqu’aux traits mêmes de son père, lui ait fait oublier les devoirs et les hommages auxquels il a droit de la part de ceux qui l’entourent, et, tout en lui laissant la connaissance du latin, lui ait ôté toute notion du grec et du français ! Mylord, excusez-moi, mais l’incertitude, le doute… Ah, je vous serais bien reconnaissant de m’exprimer toute votre pensée. N’a-t-il pas dit qu’il n’est pas le prince ; si…

— Prenez garde, mylord, vous commettez un crime de haute trahison. Vous oubliez les ordres du Roi. Vous me rendez votre complice en m’obligeant à vous écouter.

Lord Saint-John pâlit.

— C’est vrai, dit-il vivement, je me suis laissé prendre en flagrant délit, je l’avoue. Mais ne me livrez point, je vous en supplie ; que Votre Sei-