Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/79

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de haillons pour réchauffer ses membres meurtris et glacés. La mère de Tom rampa aussi jusqu’à lui, écarta doucement les cheveux qui lui couvraient le visage, le baisa au front en pleurant tout bas, et en lui murmurant à l’oreille des paroles de pitié entrecoupées de grosses larmes qui lui tombaient sur les joues. Elle tenait caché dans sa main un croûton qu’elle lui apportait ; mais la douleur avait ôté tout appétit au fils infortuné de Henri VIII, et d’ailleurs il ne se sentait aucune envie pour ce pain noir, rassis, sale et écœurant.

Il se montra toutefois très touché du courage qu’avaient eu les pauvres femmes en prenant sa défense et de la commisération qu’elles lui témoignaient. Il les remercia en termes nobles et princiers et leur donna la permission de se retirer, en les priant de bannir leurs soucis. Et il ajouta que le roi son père ne laisserait point sans récompense ce loyal dévouement et ces charitables marques de soumission.

Ce retour à la folie serra plus que jamais le cœur de la malheureuse mère ; elle enlaça le prince de ses bras, le combla de baisers, puis, suffoquée par ses larmes, elle regagna son lit, en s’aidant des pieds et des mains pour ne faire aucun bruit.

Accablée de tristesse, elle se livra aux plus sombres réflexions. Cependant, petit à petit, un doute étrange surgit dans sa pensée. Elle se demanda s’il n’y avait point dans cet enfant qu’on venait de maltraiter si cruellement sous ses yeux je ne sais quoi d’indéfinissable qui avait jusque-là manqué à Tom Canty, qu’il fût sain d’esprit ou fou.

Elle ne pouvait préciser ce qu’elle pressentait, elle ne pouvait dire au juste ce que c’était, et pourtant son