Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/82

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Le dormeur ouvrit les paupières, promena autour de lui un regard inconscient et se rendormit. Il n’avait pas remué la main.

La pauvre femme demeura frappée de stupeur ; son sang se glaçait dans ses veines ; elle fit un violent effort pour se contenir, rampa un peu à l’écart et s’abîma dans ses pensées.

L’expérience avait échoué. Mais la folie de Tom n’avait-elle pas eu pour effet de lui faire perdre toutes ses habitudes passées, jusqu’à ses tics mêmes ? Cela était-il possible ? Elle y crut un moment, mais aussitôt après le doute l’étreignit plus cruellement.

— Non, dit-elle, si sa tête est folle, ses mains ne le sont point ; il ne se peut pas qu’il ait d’un instant à l’autre perdu ce mouvement instinctif, qui lui était familier depuis tant d’années. Ah ! que je suis malheureuse et quelle rude épreuve !

Toutefois l’espoir n’était pas moins opiniâtre que le doute. Elle ne pouvait se décider à accepter la première expérience comme décisive. L’avait-elle bien faite ? Ne valait-il pas mieux recommencer ? Il était clair que si elle n’avait pas réussi, il y avait eu accident, précaution mal prise, peut-être même n’avait-elle pas exactement observé.

Elle arracha l’enfant à son sommeil une deuxième fois, une troisième fois. Le résultat fut le même : il remuait les paupières, les yeux, la tête ; il ne remuait pas les mains.

Alors elle se traîna jusqu’à son lit, éperdue, affolée, n’osant plus penser, et elle s’endormit ainsi, tandis que ses lèvres murmuraient :

— Mais je ne puis pourtant pas renier mon fils ; non, non, cela ne se peut pas ; c’est lui, ce doit être lui !