Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/85

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ténébreuse, tandis qu’il lui criait à mi-voix, en manière d’avertissement :

— Tiens ta langue, fou de malheur, et ne va pas nommer notre nom. J’en veux prendre un autre tout neuf pour faire perdre ma piste aux chiens de justice qu’on va lâcher à nos trousses. Tiens ta langue, ou gare à toi !

Puis, s’adressant aux femmes :

— Si nous sommes coupés, le rendez-vous est à London Bridge ; le premier arrivé à la boutique du drapier qui est sur le pont attendra les autres ; de là nous fuirons ensemble jusqu’à Southwark.

Tout à coup ils débouchèrent en pleine lumière, au milieu de la multitude massée au bord du fleuve.

La populace chantait, dansait, criait. Les feux de joie allumés de distance en distance le long de la Tamise, en aval et en amont, formaient un cordon flamboyant qui, de part et d’autre, se prolongeait à l’horizon à une distance infinie. London Bridge était illuminé, Southwark Bridge aussi ; le fleuve ressemblait à une mer phosphorescente où couraient, en tous sens, des feux-follets de cent couleurs diverses ; à chaque instant on entendait les explosions des feux d’artifice partant sur vingt points à la fois, lançant, à une hauteur prodigieuse, leurs gerbes splendides qui se mêlaient, se croisaient et retombaient en pluie épaisse d’étoiles éblouissantes, bleues, vertes, rouges, faisant la nuit plus lumineuse que le jour. Les groupes allaient et venaient par milliers, bras dessus, bras dessous, se pressant, se poussant et hurlant à tue-tête. Tout Londres était sur pied.

John Canty lança deux ou trois jurons qui traduisaient sa fureur et commanda de battre en retraite ;