Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/86

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mais il était trop tard. En un clin d’œil toute la tribu fut engloutie dans la ruche humaine, qui s’ouvrit pour se refermer aussitôt sur eux.

En même temps, ils se trouvèrent séparés les uns des autres.

Cependant Canty retenait toujours le prince comme eût fait un oiseau de proie dans sa serre. Le cœur du pauvre enfant battait d’espérance, car il venait d’entrevoir une possibilité d’évasion.

En ce moment, un gros batelier, qui dépassait tout le monde de la tête et que les fréquentes libations avaient sans doute porté au suprême degré de l’irritabilité, trouva que Canty jouait un peu trop des coudes pour se frayer un passage. Il lui posa l’une de ses énormes pattes d’ours sur l’épaule, et d’un ton goguenard :

— Tu es donc bien pressé, toi ! dit-il. Il faut que tu aies l’âme bourrelée de bien male besogne pour vouloir t’en aller d’ici, quand tous les loyaux sujets du Roi font liesse et bombance.

— Je fais ce que je fais, cela ne te regarde pas, répondit Canty brutalement. Lâche-moi, laisse-moi passer.

— Ah ! c’est comme ça que tu le prends ; tu te fâches quand tout le monde rit ; eh bien ! nous allons voir ; tu ne passeras point avant d’avoir bu à la santé du prince de Galles.

En disant ces mots, le batelier lui avait barré le passage.

— Soit ! Qu’on me donne la coupe, et qu’on fasse vite.

Une vingtaine d’individus s’interposèrent.

— La coupe d’amour ! la coupe d’amour ! cria-t-on, la coupe d’amour au drôle impudent, ou qu’on le jette en pâture aux poissons !