Alors on apporta avec cérémonie un grand pot d’étain à deux anses, dit coupe d’amour. Le batelier saisit l’une des anses de la main droite et, feignant de porter sur l’autre bras une serviette, il présenta le pot à Canty qui, suivant l’antique usage, devait, pour faire preuve de sincère fraternisation, prendre d’une main l’autre anse, et de sa seconde main soulever le couvercle.
Grâce à ce double mouvement, le prince se trouva libre. Il ne perdit pas le temps, plongea sous les jambes de ceux qui l’entouraient et disparut. Une minute après, il eût été tout aussi difficile de le retrouver dans cet océan humain que d’aller chercher une pièce de six pence[1] au fond de l’Atlantique.
Il ne fut pas long à s’en convaincre. Aussi ne s’occupa-t-il plus que de lui-même, sans se soucier de ce qu’était devenu John Canty. Il lui vint également à l’esprit une autre idée. Il se dit qu’en ce moment un faux prince de Galles recevait à sa place les honneurs et les acclamations qui lui étaient dus à lui, Édouard Tudor. Il n’eut pas beaucoup de peine à se persuader que cet imposteur était Tom Canty, le petit pauvre qui avait impudemment mis à profit l’occasion inouïe offerte à son audace.
Il n’y avait en conséquence qu’une seule chose à faire : c’était de chercher le chemin de Guildhall, de courir à l’hôtel de ville de la Cité, où avait lieu le banquet du lord maire et des aldermen, de se faire reconnaître et de dénoncer l’usurpateur.
— Il sera laissé à Tom Canty, se dit le prince, le
- ↑ Petite pièce d’argent, valant soixante centimes et ayant le module d’une pièce française de cinquante centimes.