Page:Twain - Le prince et le pauvre, trad Largilière, 1883.djvu/98

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l’entourait, retentir un autre cri non moins sonore que le premier, lorsque les cent mille bouches eurent répété : Vive le roi Édouard VI ! alors il se réveilla subitement de sa torpeur, ses yeux brillèrent d’un éclat inaccoutumé, il tressaillit, mais, cette fois, c’était d’orgueil ; et, redressant la tête, ivre de bonheur, comme s’il eût en cet instant même pris possession de son sceptre et de sa couronne, il s’exclama : Je suis le Roi !

Personne n’y fit attention, pas même Miles Hendon, qui frayait lentement son chemin à travers la foule massée sur le pont,

London Bridge, qui datait déjà alors de six siècles, n’avait cessé d’être, à toutes les époques, l’endroit le plus passant, le plus tumultueux de Londres. On y voyait un fouillis, un entassement d’hommes et de choses, boutiques et boutiquiers, marchands et marchandises, dont la file allait d’une rive du fleuve à l’autre. On eût dit une ville dans la ville même ; le pont avait son hôtellerie, ses cabarets, ses boulangeries, ses échoppes de mercier, ses marchés de victuailles, ses usines, jusqu’à son église. Il regardait de haut ses deux voisins, Londres et Southwark, qui, grâce à lui, pouvaient se rejoindre, comme s’ils n’eussent eu, — par rapport à lui, — que l’importance insignifiante de quartiers suburbains.

London Bridge formait en quelque sorte une corporation fermée ; une cité étroite, composée d’une seule rue d’un cinquième de mille en longueur, avec une population à peine égale à celle d’un village, et où tout le monde se connaissait de père en fils, quoique chacun y fût maître chez soi.

London Bridge avait son aristocratie représentée