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LES AVENTURES DE TOM SAWYER.

gardé d’émettre son opinion ; mais si on l’avait interrogé, il aurait répondu :

— Je n’y comprends rien. Tom a répété tout ce que nous avons dit sans se tromper d’un mot. Voilà un drôle de rêve. Moi, je ne vois en songe que des choses qui n’ont jamais pu arriver. Je ne donne pas là dedans.

Tom était devenu un véritable héros aux yeux de la jeune génération de Saint-Pétersbourg. Il ne s’en montra pas plus fier. Tout au plus aurait-on pu lui reprocher de se dandiner avec la gravité dont ne doit pas se départir un corsaire qui a mérité de fixer l’attention publique. Bien qu’il affectât de ne pas remarquer les regards dirigés sur lui, de ne pas entendre les observations plus ou moins flatteuses dont il était l’objet, il buvait du lait. Une foule de gamins marchaient sans cesse sur ses talons, aussi heureux de figurer dans son escorte que s’ils eussent suivi l’éléphant qui fait son entrée triomphale dans une ville à la tête d’une ménagerie.

En attendant l’heure de la classe, Tom et Joe se virent entourés de tant d’admirateurs qu’ils ne tardèrent pas à monter sur leurs grands chevaux ou « à faire leur tête », pour employer l’expression de Sid. Ils commencèrent à raconter leurs aventures à un auditoire avide. Je dis qu’ils commencèrent, car le récit promettait de rivaliser de longueur avec les romans les plus volumineux. Leur imagination était trop féconde pour qu’une disette de matériaux fût à craindre. Enfin, lorsqu’ils tirèrent avec nonchalance leurs pipes de leurs poches et se mirent à lancer des bouffées de tabac au nez de leurs voisins, le sommet de la gloire fut atteint.

Tom se dit que les dédains de Becky Thatcher le trouveraient désormais indifférent. La gloire suffisait. Maintenant qu’il était célébre, elle voudrait sans doute se raccommoder avec lui. Eh bien, elle s’apercevrait que d’autres pouvaient répondre tout aussi sèchement qu’elle à