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UNE VIE BIEN REMPLIE

loi pour nous ; la réponse fut affirmative, le Gouvernement ne pouvait interdire cette réunion sans violer la loi.

« Ceci dit, je repousse énergiquement l’accusation d’association illicite ; j’avais reçu mandat de ma Chambre syndicale de recevoir les délégués et d’organiser un Congrès ouvrier : rien de plus, rien de moins ; ainsi donc, fort de la consultation de jurisconsultes tels que MM. Crémieux, Albert Joly, Lehmann ; fort du discours que M. de Marcère, le ministre de la République, prononçait à Montargis, discours qui disait qu’il n’y avait plus de classes en France, que la liberté était égale pour tous ; fort de l’exemple qui nous était donné chaque jour par les Congrès internationaux, tenus au palais du Trocadéro, sous la présidence d’honneur des ministres, j’ai cru qu’il n’y avait pas deux sortes de lois ; j’étais convaincu d’être dans mon droit en agissant comme je l’ai fait, et si, le 22 septembre j’ai signé une protestation, c’est que j’étais indigné de voir qu’il y avait deux poids et deux mesures, que le Congrès catholique se réunissait et processionnait à Chartres en pleine liberté, pendant que les ouvriers qui avaient voulu se réunir à Paris étaient emprisonnés. Je me rappelle aussi que, lors de notre visite à M. Lepère, sous-secrétaire d’État, MM. Tolain, sénateur, Barodet, Thurigny et Tallandier, députés, rappelaient au représentant du Gouvernement qu’interdire ce Congrès c’était mettre le peuple hors le droit commun, hors la loi qu’ils s’en souviennent !

« Maintenant, MM. les juges, je ne viens pas vous demander l’indulgence ne me reconnaissant pas coupable, si la loi peut avoir deux interprétations, je le déplore pour les justiciables et encore plus pour les juges ; je suis coupable d’aimer la République ; rappelez-vous, messieurs, que c’est en son nom que vous rendez la justice… »

Tu le vois, mon cher ami, on triture les lois comme on veut, trois hommes éminents entre tous dans le barreau disent : La loi est pour nous, le gouvernement est impuissant et les juges reçoivent des ordres et ils condamnent, du reste, si c’est inique, cela ne surprend personne.