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UNE VIE BIEN REMPLIE

XXI


L’année 1899 fut pour moi une année de deuil. Je perdis ma mère, ma femme et mon fils ; ce dernier était au Brésil, intéressé dans le commerce du caoutchouc et devait revenir l’année suivante ; il fit une chute de cheval et fut tué sur le coup. C’est le travail, le grand consolateur, qui m’a permis de résister à ces terribles coups du sort.

Je vis maintenant comme désemparé ; je me compare à un roseau au milieu de la rivière, n’ayant plus de soutien et sans cesse agité par le courant, qui lui ne recule pas. Aussi, quand j’ai le rare bonheur de passer quelques moments avec un ami tel que toi, j’en suis bien heureux.

Mon pauvre camarade, dis-je à mon tour, je compatis à tes peines profondes ; je prends part à tes malheurs ; tu as eu des peines de cœur dans ton enfance ; tu as lutté pour la vie ; tu t’es élevé par ton travail intellectuel à des conceptions sociales qui te font honneur ; cela doit, dans une certaine mesure, consoler les chagrins qui viennent attrister la fin de ta vie ; cependant, descend en toi-même et tu te diras que tu as été bien partagé, puisque tu as eu trente ans de bonheur.

Maintenant, le soleil décline, la sapinière commence à s’assombrir, les sommets des pins, par leur ombre, dessinent sur le pré des festons de montagnes : je propose de marcher un peu du côté où il y a du soleil.

En passant devant le château, je lui demandai de me racconter l’histoire du père de sa gouvernante. La voici en quelques mots : on pourrait l’appeler une mauvaise farce.

Un garçon de ferme était venu un dimanche (ceci vers 1830) voir son père, jardinier au château ; plusieurs petites tortues étaient dans le jardin ; on lui expliqua que ces