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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/13

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UNE VIE BIEN REMPLIE

Cet emploi gouvernemental était payé 45 francs par mois, tenu par deux employés qui se relayaient, l’un le matin, l’autre le soir ; le travail consistait, tu le sais, à regarder dans une grande lunette le poste le plus rapproché et à transmettre au poste suivant les signaux qui y étaient faits ; ces signaux étaient principalement des Z ou des X, faits au moyen de poulies qui actionnaient au sommet de la tour des sortes de persiennes en bois ; ainsi Couffraut recevait les dépêches venant de Paris par le télégraphe de Châteaurenard, distant de 3 lieues et les transmettait à la ligne de Lyon par le télégraphe de Chevillon, distant également d’environ 3 lieues.

Maintenant, un autre souvenir : te rappelles-tu la jolie garenne de Couffraut, arrachée depuis longtemps pour y cultiver le blé et autres céréales ; quel beau bois c’était : avec des belles futaies et ses arbres centenaires. C’est là, qu’étant gamins, sans nous douter que nous faisions mal, nous allions dénicher les nids et aussi à Pâques, c’était à qui apporterait à la maison la plus grosse brassée de coucous et d’anémones. Ma mère me disait : n’est-ce pas une barbarie d’avoir abîmé ces jolies fleurs ; elles étaient bien plus belles dans le bois que maintenant qu’elles sont fanées. C’était bien vrai ; mais aujourd’hui encore nous faisons de même quand nous sortons de Paris pour aller à la campagne ou dans les bois ; nous voudrions, si nous pouvions, apporter avec nous une partie de la forêt. Et le jeudi, quand il faisait chaud, te souviens-tu que nous nous donnions rendez-vous au coin du bois de Launay pour faire la guerre à coup de pierres aux gros lézards verts, et quand, malgré les pierres, nous les voyions grimper sur les branches d’aubépines, comme nous nous sauvions à toutes jambes, tant nous avions peur, parce que nous avions entendu dire que les lézards étaient très venimeux, que leurs morsures faisaient mourir, alors que les naturalistes nous disent que ces jolis petits animaux sont les amis de l’homme et que celui-ci prend plaisir à les regarder quand ils grimpent aux branches.

Nous croisâmes quatre personnes, deux dames et deux messieurs, nous nous saluâmes spontanément ; ces personnes, dit mon ami, sont les bourgeois de Couffraut ; ils vivent ici dans leur château et sont ce que l’on appelle des richards,