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UNE VIE BIEN REMPLIE

mais en tous cas de bien petits ; ils possèdent trois ou quatre fermes et le moulin, ce qui leur rapporte environ une vingtaine de mille francs ; leur domesticité se compose du jardinier-cocher, d’une femme de chambre et d’une cuisinière ; de temps en temps ils vont à Paris faire un tour ; en un mot, ce sont des heureux se contentant de leurs revenus, pas trop durs envers leurs fermiers, rendant le salut aux paysans ; il n’en était pas de même de leurs pères et grands-pères, qui regardaient les paysans et les gens de métiers comme des serfs.

Je vais te citer un fait que tu connais peut-être : À l’intersection des quatre routes, dans un bout de champ qui leur appartenait, se trouvait un trou à marne, puits profond d’environ quinze mètres ; c’est là qu’ils faisaient jeter les bœufs qui crevaient dans leur pâture ; quelques fagots d’épines étaient jetés sur l’orifice et c’était tout ; aussi, quand venaient les chaleurs, cela empestait à plus de 500 mètres à la ronde. Les paysans allaient au château se plaindre qu’ils étaient incommodés par l’odeur qui se dégageait du trou, priant de le faire combler ou tout au moins d’y jeter de la chaux vive ; rien n’y faisait, répondant qu’ils avaient le droit de faire ce qu’ils voulaient dans leurs terrains. Bien mieux, pour se venger de deux propriétaires qui avaient parlé de les appeler en justice, ces messieurs du château avaient donné ordre à leur gérant, qui était aussi leur jardinier, de veiller à ce que le taupier, « le taupier était un pauvre vieux malheureux qui plaçait des pièges dans les pâturages et que l’on ne connaissait que sous le nom du Père la Taupe », pour mieux contrôler le nombre d’animaux capturés, de les accrocher aux basses branches d’un peuplier qui se trouvait à cent mètres de la route, tout près des maisons des propriétaires qui les avaient menacés de la justice ; il y avait quelquefois vingt ou 30 taupes accrochées ; c’était une infection telle que lorsque le vent venait de ce côté, on ne pouvait travailler dans les jardins et que les gens fermaient leurs portes ; cela a duré pendant cinq ans. À ce moment, ces gros bourgeois étaient les maîtres ; les gens des campagnes tremblaient qu’une parole hostile leur soit rapportée et ils se taisaient. En plus de leur situation de riches, d’indépendants, ils étaient maire du village