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UNE VIE BIEN REMPLIE

toutes sortes ; plutôt il sera crevé, plutôt il nous débarrassera ; à cela les voisins, et les voisines surtout, lui répondaient si vous le nourrissiez mieux et que vous ne lui fassiez pas tant de mal, il ne serait pas si dégoûtant ; mais vous n’êtes pas seulement capable de faire une soupe pour votre homme, vous ne savez pas faire bouillir un peu de pain pour cette pauvre bête ; tuez-la pour que nous ne la voyons plus souffrir, car c’est révoltant à la fin ; de sorte qu’à cause de ce pauvre chien les disputes se renouvelaient à chaque instant parmi les femmes du hameau.

XXVII


Enfin, par un dimanche de janvier, où la neige commençait à se salir sous l’action d’une sorte de brume triste et où le faîte des mottes de terre commençait à se découvrir, un des gamins vint crier à la porte des maisons voisines, cette grande nouvelle : venez voir ! papa va tuer nout (sic) chien avec son fusil ; alors petits et grands sortirent pour voir tirer un coup de fusil sur cette bête ; les plus sages firent la remarque à Darche qu’il devrait d’abord l’attacher et lui tirer le coup dans la tête, car avec du plomb numéro 4 il ne le tuerait pas ainsi immédiatement. À quoi bon faire souffrir cet animal, disaient-ils ; mais cet homme, point méchant cependant, qui aurait préféré manger son pain sec que de saigner lui-même un lapin, n’entendait pas de cette oreille, il voulait montrer à ses voisins son adresse à tirer sur un gibier dans sa course.

Son gamin aîné lui amena la victime dans le champ, que l’on éloigna à coups de pierres, et quand elle fut à environ trente ou quarante pas, l’homme tira ; le chien reçut le gros de la charge dans la cuisse gauche avec d’autres grains de plomb écartés depuis l’échine jusqu’à l’épaule, la pauvre bête tomba et se releva plusieurs fois en poussant des cris déchirants ; puis Darche s’approchant, ainsi que les spectateurs, pour se rendre compte du coup de feu, ce fut pitié