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UNE VIE BIEN REMPLIE

qui en auraient, ne pourraient plus avoir leur fournée, puisque les moulins ont cessé de moudre ; mais alors ce serait la famine. Et Paris, comment ferait-on pour l’approvisionner ? car là c’est plusieurs milliers de voitures qu’il faut chaque jour. Voilà ce que l’on ne dit pas dans les journaux ; ça mérite pourtant que l’on y fasse attention. S’il n’y avait pas tant d’avocats et hommes d’affaires à la Chambre, ils feraient entendre raison au gouvernement, lui faisant comprendre qu’il faut éviter la guerre.

« La belle affaire que les colonies, qui coûtent de l’argent et ne rapportent rien ; ceux que l’on ne tue pas reviennent au pays et, comme mon pauvre garçon, meurent des fièvres qu’ils y ont attrapées.

« On parle aussi d’argent difficile à retirer, ça ne me touche pas, je n’ai rien ; mais il y a des petits qui en ont un peu tout de même. J’en connais un que je ne veux pas nommer, qui a 3.000 francs à la Caisse d’épargne ; ça lui rapporte dans les 80 à 90 francs par an ; c’est une somme pour un pauvre vieux, et on dit qu’il ne pourrait pas ravoir ses quatre sous, mis de côté en se privant de tout, parce que le gouvernement en aurait besoin pour faire la guerre.

« Les Allemands sont des hommes comme nous, qui ont aussi des fusils et des canons ; de plus, la population est presque le double de nous. Nous serions peut-être encore battus ; il vaudrait mieux vivre en bon accord et en paix ; on ne peut pas rester toujours ennemi. C’est Napoléon qui a déclaré la guerre en 1870, et pas la France.

En 55, on a fait la guerre aux Russes (je m’en souviens, j’étais à Sébastopol). On en disait à ce moment sur eux, on faisait des chansons, on les traitait de sauvages, de mangeurs de chandelles, que leur empereur était un despote cruel qui faisait fouetter et pendre par milliers ceux qui lui déplaisaient ; et cependant aujourd’hui il vient chercher des milliards chez nous, qu’il ne rendra jamais, et pourtant il n’a rien donné à la France, lui. »

Voilà ce que disait ce vieux brave homme ; si un diplomate tenait le même langage, on le publierait dans le monde entier.


Les Simons, 30 octobre 1911.


Aujourd’hui, me sentant plus alerte, j’ai voulu profiter du beau soleil pour faire la même promenade que nous avons faite ensemble voilà trois ans : tu sais, la Garenne.