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UNE VIE BIEN REMPLIE

XI


Je revins à Bordeaux, où je travaillais sans relâche ; j’eus encore l’occasion de me faire mal voir des compagnons ; leur ayant, au nom de bon nombre de camarades, demandé à ce qu’ils voulussent bien nous permettre, tout en nous appuyant, de demander aux patrons de nous payer 3 francs au minimum et 3 fr. 50 à ceux qui sont tout à fait capables. Ma proposition fut mal accueillie ; on me fit même entendre que si j’avais des réclamations à faire, je serais rayé de la Société, ce qui avait mécontenté tous les aspirants.

Avant de continuer mon tour de France, je fus embauché dans une bonne maison pour y faire une série de harnais de cabriolets ; dans cette partie surtout, j’étais un bon et habile ouvrier. Ce patron me fit compliment, tout en m’offrant 2 fr. 50 ; je voulus 3 fr. 50 ; si non, je m’en allais.

Les camarades firent cause commune avec moi et l’on décida de se passer des compagnons, de faire grève si les patrons n’acceptaient pas de payer 3 fr. 50. Ces Messieurs, pensant que si je n’étais plus là tout s’apaiserait, m’intimèrent l’ordre de partir sur-le-champ.

Cédant aux raisons de la Mère, qui craignait le scandale pendant la nuit, j’allai coucher avec un camarade. Cela n’empêcha les compagnons, aidés des charrons, de faire irruption dans la chambre, après 11 heures du soir, pour s’assurer si j’y étais ; il y eut une furieuse bataille, où le sang coula. Dès le matin, tous les ouvriers furent informés de ce qui s’était passé, et pendant qu’une délégation se rendait à la préfecture pour porter plainte contre l’agression des compagnons, d’autres groupes allaient débaucher ceux qui travaillaient et ignoraient les faits de la veille ; tous sans exception firent grève. Le soir même, une délégation des patrons vint proposer de payer trois francs, ce qui, en définitif, fut accepté. On m’attribua l’honneur de ce relèvement des salaires.