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UNE VIE BIEN REMPLIE

dans la coulisse ; alors, j’entendis au parterre ces exclamations : « D’où te bas ? où va-t-il ? » ; par des rires et des applaudissements, tout le monde m’acclamait, alors que j’avais fait les choses de travers. J’en ris encore quand j’y pense ; mais ce soir là je ne riais pas ; le régisseur était furieux. Je m’esquivai après avoir protesté que ce n’était pas ma faute si la visière de mon casque avait tourné. Le bon public ne garda pas rancune que le prince de Grenade n’ait pas été armé chevalier ce soir-là, et revint en foule le lendemain.

Dans cette ville, les plaisirs de l’été étaient les bains de mer à la plage de Serignan, où le dimanche, la foule se comptait par plusieurs milliers ; il y avait aussi des baigneurs en eau douce dans la rivière de l’Orb ; j’aimais tellement à me baigner qu’avec un camarade nous y allions souvent à minuit ; l’endroit était situé à une demi-heure de la ville ; nous étions de pauvres nageurs, notre capacité était d’atteindre un îlot à environ quarante brasses de la rive et, pour te montrer que les jeunes gens ne connaissent pas ce que c’est que la prudence, il m’est arrivé d’y aller la nuit plusieurs fois seul ; je franchissais deux fois la passe ; je m’habillais et prenais un gros raisin dans la vigne qui bordait la rivière, puis revenais me coucher, content de moi, sans avoir pensé à la peur.

Après avoir quitté Béziers, je vis Montpellier et Nîmes ; je ne suis pas historien, mais qu’il me soit permis de te dire seulement que la vue des monuments romains font penser aux générations disparues. Je ne suis pas un savant, mais seulement un penseur épris de ce que les hommes ont fait de grandiose, attristé aussi à la pensée que l’humanité a été pendant tant de siècles aux prises avec la barbarie, et y est encore de nos jours.

Quand on contemple les bains Romains, le Temple de Diane, la Maison Carrée et surtout les Arènes, on reste rêveur ; c’est grand et imposant. Seulement, malgré que l’on doit reconnaître que ce sont les Romains qui ont sorti la Gaule de la Barbarie, en lui donnant des écoles, des lois, des routes, des monuments qui semblent défier les siècles on pense aussi que ces maîtres du moment se donnaient, en même temps qu’au peuple, des spectacles barbares comme les combats sanglants des gladiateurs, des condamnés livrés