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UNE VIE BIEN REMPLIE

le bien d’autrui, ils ont été condamnés à trois et six mois de prison ; cette dernière peine infligée aux plus âgés ; les pauvres jeunes gens pleuraient et sanglottaient, tandis que le public s’en allait en grommelant de sourdes colères contre un juge qui s’était montré si impitoyable, ils furent jugés en patois.

J’étais dans ce pays à l’époque de mon tirage au sort ; le Maire de mon village tira pour moi et, vu mon métier, je fus classé dans les cuirassiers, mais exempté par mon frère cadet alors sous les drapeaux.

Avant de quitter cette ville, je veux rappeler un fait historique ou légendaire : Un jour que M. Riquet, ingénieur, était en train, avec son sécrétaire, de dessiner les plans du Canal du Midi, un berger s’était approché d’eux, regardant le dessin ; M. Riquet, nerveux lui dit : « Que regardes-tu là, imbécile ? Est-ce que tu comprends quelque chose à cela ? » Le berger répondit : « Oui, je sais ce que c’est ; tous ces points qui vont sur la montagne, c’est pour retenir l’eau, on en a parlé à la ville. Moi, si j’étais de votre métier, je ferais mieux. » « Et que ferais-tu ? » lui demandant Riquet. Le berger répondit : Tenez, comme cela, et prenant sa houlette, il perça une petite butte de terre et c’est ainsi que l’idée est venue à ce grand ingénieur de percer la montagne là où il voulait faire des écluses.

Je vais te conter un petit fait de théâtre, dont je fus le pauvre héros, et qui fit bien rire. Un soir que l’on jouait Robert le Diable, celui qui faisait le Prince de Grenade n’étant pas venu, on me chargea de le remplacer, ce qui ne me convenait guère ; enfin, on me revêtit de l’armure complète, depuis les chaussures poulaines jusqu’au casque à ventaille. Précédé des trompettes et du héraut portant une épée sur un coussin, le prince doit s’avncer auprès de la princesse qui doit le proclamer chevalier, pendant que Robert poursuit son ombre dans la forêt enchantée ; j’avais répété pour voir si je pourrais, sans difficulté, plier le genou devant la princesse ; tout allait bien, mais quand il me fallut marcher, mon casque tournait à chaque pas que je faisais ; bientôt je ne voyais plus à me conduire et craignant d’aller tomber dans l’orchestre où les instruments faisaient rage pour annoncer l’armement d’un chevalier, je rentrai