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Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/75

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UNE VIE BIEN REMPLIE

À Avignon, les bords du Rhône sont très beaux ; en face le vieux pont (démoli aujourd’hui, celui sur lequel on dansait en rond, selon la ronde fameuse des enfants), on voit les restes du château du roi René.

En général, de Marseille à Lyon, la rive gauche du Rhône est d’une grande pauvreté de culture ; à part quelques petites plaines, on ne voit que des terrains sans fonds, plantés de petits oliviers et amandiers. La rive droite est pire ; on ne voit que des petites montagnes rocheuses qui s’élèvent jusqu’à deux cents mètres. Le voyageur qui ferait ce voyage en chemin de fer et jugerait la France sur ce parcours, pourrait dire qu’elle est bien pauvre.

Quel changement subit de température dans ce mois de mars. Vers fin février, il faisait 20° au soleil à Béziers ; huit jours après, on enregistrait 0° à Marseille ; à Avignon, hier, un soleil de plus de 20°, et aujourd’hui, à Lyon, il fait 8° au-dessous de zéro.

Je restai trois jours dans cette belle ville de Lyon pour visiter les curiosités : musées, le fort de la Vitriolerie, où je vis une grande quantité de canons et de boulets. J’étais aussi très désireux de visiter une fabrique pour y voir fonctionner les métiers « Jacquard » ; mais comment faire, ne connaissant personne. L’occasion se présenta tout naturellement. Voulant avoir une montre pour rentrer chez mes parents, le bijoutier où je l’achetai me donna un mot pour un de ses amis, fabricant de soierie, que je ne manquai pas d’aller voir ; je ne vis pas de métiers Jacquard, mais seulement des métiers à faire l’uni ; il y en avait un si grand nombre que cela produisait un bruit assourdissant à ne pas s’entendre, même en se parlant à l’oreille, et toutes ces machines faisaient des courants d’air si violents que les ouvriers s’entouraient la tête d’une marmotte. En voyant cela, je me suis expliqué pourquoi certains écrivains qualifiaient ces usines de bagnes capitalistes. Mon métier n’était pas bien artistique, mais je n’aurais jamais changé pour entrer dans un pareil enfer.

Je voulus voir Saint-Etienne, sa fabrique d’armes et descendre dans une mine de charbon ; mais, arrivé là, le courage m’a manqué pour faire les démarches nécessaires à satisfaire ma curiosité. Quelle tristesse que cette ville vue