Page:Une Vie bien remplie (A. Corsin,1913).djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
UNE VIE BIEN REMPLIE

reçu comme par le passé, en ami ; on me parla d’abord de tout ce qui s’était passé : les hommes fusillés en tas, pour un regard jugé haineux ; le passant, homme ou femme, était fusillé sur sa porte ou éventré par des brutes de soldats ; pour un mot, on était jeté dans les rangs des prisonniers et emmenés à la mort ou aux pontons ; enfin, disait Collot, la répression avait été plus sauvage, plus impitoyable que l’on aurait pu le croire.

Le travail ayant repris, je trouvai une place potable ; j’avais la faculté d’embaucher deux ou trois ouvriers et de gagner sur eux comme tâcheron ; je ne voulus pas accepter cette façon de faire et, à ma prière, le patron consentit à ce que les ouvriers embauchés par moi passeraient à sa caisse et seraient payés comme moi.

Je continuais de visiter mes amis ; nos causeries se faisaient maintenant le dimanche, au cours de nos promenades à Saint-Cloud, Meudon, Ecouen. Il fut décidé pour un dimanche de juin, que l’on irait dîner sur l’herbe au bois de Vincennes ; ce n’était pas loin ; on pouvait y aller à pied ou par l’omnibus ; ce jour arrivé, nous étions nombreux, une famille entière d’amis et voisins, composée de six personnes, le père, la mère et quatre enfants, filles et garçons de huit à quinze ans ; la jeune fille amie de Mlle Marguerite, son frère, âgé de dix-huit ans, la famille Collot et moi, soit douze personnes.

Ayant demandé à Mme Collot pourquoi leur voisin, qui sortait toujours avec eux n’y était pas ce jour là, elle me répondit que sa fille lui avait dit qu’elle ne voulait pas se marier pour le moment ; dans ce cas, valait mieux qu’il n’y pense plus et qu’il entre seulement de temps en temps leur dire bonjour, en ami, en voisin. Sans m’en rendre compte, j’étais bien aise que cette chose ait eu lieu.