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UNE VIE BIEN REMPLIE

confia que le jeune homme qui venait chez eux voudrait bien se marier avec Marguerite ; nous consentirions avec plaisir à cette union, dit-elle, parce que c’est un honnête garçon, bon travailleur, soutien de sa grand’mère, un peu commun à la vérité, mais vu l’infirmité de notre enfant, elle ne peut trouver mieux ; elle dit que, pour se marier, il faut s’aimer et qu’elle ne pourra jamais aimer Jean ; il n’y a rien à dire à cela ; nous ne pouvons ni ne voulons la forcer.

Aussitôt qu’ils furent rentrés, je leur annonçai que je partais le lendemain embrasser ma mère ; que je resterais huit ou quinze jours au plus et, qu’à Pâques, je serais là pour faire la promenade projetée ; je promis d’écrire sitôt arrivé au pays, on me souhaita de trouver ma mère en bonne santé. M. Collot me fit part de ses craintes ; il me dit que la Commune allait se trouver en face d’une réaction terrible et sans pitié, qui se servirait d’une armée disciplinée, la plus grande partie des soldats énervés, retour de captivité à qui on ferait croire que ce sont les révoltés de Paris (les brigands) qui sont cause s’ils ne sont pas rentrés plus tôt dans leurs foyers ; cette armée sera sans pitié contre Paris, stimulée par des chefs traitres ou incapables ; je crains, dit-il, que la Commune soit vaincue et noyée dans le sang.

Finalement, il me conseillait de m’abstenir de prendre part à la Révolution, qui était juste, sans doute, mais qui fatalement ne réussirait pas.

Je partis et, dans la première quinzaine d’avril, Collot m’écrivait une lettre qu’il avait été mettre à la poste d’Enghien ; dans cette missive, il me disait qu’il était question que les Versaillais arrêtaient les hommes rentrant à Paris et cela, pour qu’ils ne viennent pas grossir les rangs des révoltés ; qu’en tous cas, de toutes façons, on était obligé de prendre parti pour la Commune, surtout ceux qui étaient déjà connus pour avoir manifesté leur colère contre l’Empire et les hommes du Gouvernement de la Défense nationale ; ou on serait obligé de marcher de force, ou on s’entendrait appeler lâche ; mais, ne voulant pas s’entendre traiter ainsi, on marcherait ; il terminait en m’adjurant de rester vers ma mère, attendre les événements.

Je fis ainsi et ne rentrai à Paris que fin mai. Je fus