Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/195

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elle donne au moins autant qu’elle reçoit ; c’est d’ailleurs la règle de la reconnaissance telle que l’a formulée Hésiode : « mesure pour mesure, et mieux, si tu peux[1] ». Dans leur pensée, les sophistes pouvaient mieux.

Cette théorie parait avoir été si pleinement acceptée par l’antiquité qu’on en vint à se demander si l’artiste l’emportait sur l’écrivain ou l’écrivain sur l’artiste. C’est ainsi, par exemple, que Pline l’Ancien prétend qu’Apelle, dans son tableau représentant Diane au milieu d’un chœur de jeunes filles qui sacrifient, avait surpassé Homère[2] ; ailleurs au contraire le même auteur, parlant de la Vénus Anadyomène du même artiste, ajoutera : « cet ouvrage a été vaincu, mais illustré par les vers grecs consacrés à sa louange. » Pour employer le mot de Lucien, on trouvera sans doute que les poètes avaient poussé un peu loin la reconnaissance envers l’artiste. « L’éloge est un peu mince, dit Falconet. Il serait cependant possible à toute rigueur qu’Apelles eût fait un tableau faible, et si faible en comparaison de ses autres ouvrages que des vers très bien faits eussent mérité la préférence. Mais je demande comment il est possible qu’un tableau soit d’une assez grande beauté pour qu’il ne se trouve aucun peintre assez téméraire pour oser l’achever ; qu’il soit au point d’exciter à l’envi l’émulation des poètes ; et que pourtant ce tableau soit inférieur aux cinq jolies petites épigrammes de l’Anthologie rapportées dans la note du Père Hardouin sur ce passage ? N’oublions pas que c’est de la belle Vénus sortant des ondes, de ce chef-d’œuvre de l’art, dont il est question[3]. » Falconet a mille fois raison d’être étonné, mais Pline, qui parle toujours beaucoup plus d’après les autres que d’après lui, est ici l’interprète d’un sentiment fort répandu dans l’antiquité ; les

  1. αὐτῷ τῷ μέτρῳ, καὶ λώϊον αἴ κε δυνηαι. Op. et dies, v. 350 (éd. Didot).
  2. Pl. H. N. 35, 95 ; Homère ne montre nulle part Diane au milieu de Nymphes sacrifiant. Voir dans Overb., Die antik. Schriftq., no 1870, les différentes explications proposées. Fürtwangler (Plinius und seine Quellen) croit avec quelque vraisemblance que Pline traduit ici une épigramme grecque qu’il aura mal comprise.
  3. Falconet, note 59 de la traduct. du 35e livre de Pline.