Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/197

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là dans les descriptions des sophistes, une liberté qu’un écrivain moderne n’oserait s’arroger. Par exemple, le peintre aura pris d’une légende ou d’un événement historique la scène la plus dramatique pour la représenter ; mais cette scène n’était peut-être point la seule intéressante ; d’autres la précédaient, d’autres la suivaient. Le sophiste les voit en imagination et ne résiste point au plaisir de les décrire ; ce seront des descriptions de plus, et une occasion de rivaliser même d’invention avec le peintre ; en outre il les supposera peintes aussi par l’artiste ; il feindra d’éprouver devant elles la même illusion que devant celles qui sont vraiment représentées ; il unira le passé au présent, le présent à l’avenir, et se fera un mérite de dissimuler le point précis où cette union a lieu ; sa description considérée dans son ensemble, flottera pour ainsi dire entre la description proprement dite et le récit. Nous aurons deux, trois tableaux au lieu d’un, et il ne sera pas toujours aisé de déterminer quel est le véritable. Ce procédé semble avoir été employé d’abord avec une discrétion de bon goût. Ainsi Lucien décrivant le tableau qui représente la folie feinte d’Ulysse, nous dit : « tous les détails sont parfaits, la charrue, la bizarrerie de l’attelage, l’ignorance de ce qui se passe[1]. » Par ce dernier trait, Lucien entend sans doute qu’Ulysse, tout entier à ses occupations rustiques, ne laisse voir sur son visage aucune trace de méfiance, ce qui aurait pu trahir son dessein de paraître fou. Lucien ajoute : « Le péril de son fils rappelle Ulysse au bon sens ; il redevient père ; il laisse de côté toute dissimulation. » Mais comment Ulysse dans un tableau peut-il à la fois paraître dissimuler et ne pas le paraître. Il faut supposer ou que l’épisode fut divisé en deux scènes, avec répétition des mêmes personnages, ce qui paraît peu vraisemblable ou que Lucien, avançant par l’imagination l’instant où la dissimulation doit cesser, décrive Ulysse à la fois tel qu’il le voit de ses

    rait aisément d’autres exemples. Cf. Choricios de Gaza, édit. Boisonn., p. 113, 148.

  1. (1) Lucien, Sur un appart., 30 (trad. Talbot).