Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/198

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yeux et tel qu’il sera ; tel qu’il est et tel qu’il a été, si l’on aime mieux penser que l’artiste avait choisi le moment le plus dramatique, celui où Télémaque était menacé de mort. D’ailleurs l’expression d’Ulysse pouvait favoriser cette espèce d’illusion, à peu près comme le pli d’une étoffe ou l’attitude indique dans un personnage le mouvement qui a précédé et celui qui doit suivre. La description de Lucien tourne donc un peu au récit, mais sans qu’on puisse accuser l’écrivain d’obscurité ou d’inexactitude. Ce n’est pas tout à fait le cas de Philostrate : décrivant pour décrire, il contient moins son imagination ; cherchant à produire sur le spectateur ou le lecteur l’illusion qu’il feint d’éprouver, il confond plus hardiment les moments ; car outre le dessein de lutter par la parole avec le peintre, il entre encore dans son esprit celui de nous entraîner, de nous enlever à nous-mêmes et au sentiment de la réalité présente[1]. C’est un peu le rôle de celui que Théon chargeait d’emboucher la trompette, avant de découvrir son guerrier sonnant la charge ; le sophiste remplace la musique par la rhétorique. Par exemple le tableau de la Naissance d’Hermès semble avoir été composé de deux scènes principales, Hermès poussant devant lui les bœufs d’Apollon, Apollon dépouillé de ses flèches. Néanmoins Philostrate décrit, comme s’il les voyait représentés, les événements de la vie d’Hermès qui prennent place, chez les poètes ou dans la légende, entre ces deux scènes ou qui précèdent la première ; Hermès vient de naître ; il est entouré par les Heures, se dégage de ses langes, se met à marcher, descend de l’Olympe ; après avoir ravi les bœufs il rentre dans son berceau ; il en sort de nouveau pour sauter sur le dos de son frère irrité. Dans le tableau de la Chasse au sanglier, il semble bien que le peintre n’avait représenté qu’un épisode de la chasse, celui où le bel adolescent,

  1. Diderot emploie souvent un procédé analogue ; il aime à quitter le monde fictif de l’art pour le monde réel ; à laisser douter le spectateur s’il décrit l’image des objets ou les objets eux-mêmes ; son imagination s’empare du temps et de l’espace, dont un point seul appartient au peintre. On se rappelle ses descriptions des tableaux de Vernet, et l’espèce de songe qu’il raconte à propos de Corésus et Callirhoé.