Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/199

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engagé avec son cheval dans le marais, lance le javelot contre le sanglier. Cependant Philostrate nous montre les chasseurs réunis, avant la chasse, autour du temple de Diane qu’ils doivent invoquer ; puis vient la scène principale, sans doute la scène réellement représentée ; enfin voilà les chiens qui ramènent le sanglier vers la terre et vers les chasseurs, assemblés cette fois sur les bords du marais[1].

Si l’on veut bien se rappeler que les anciens avaient l’habitude de représenter en plusieurs scènes dans leurs tableaux, les divers moments d’une même action, on comprendra combien ce procédé de rhéteur, qui consiste à mêler les descriptions de pure imagination aux descriptions faites d’après l’œuvre d’art, embarrasse quelquefois la critique. En face du tableau lui-même (et Philostrate prétend décrire pour un spectateur, non pour un lecteur), l’erreur n’était point possible ; ou du moins le procédé n’était favorable qu’à cette demi-illusion qu’il est très permis à l’art de chercher à produire sur nous et au critique d’éprouver un peu plus que tous les autres pour nous la faire partager plus sûrement. Rien au contraire n’est plus capable de dérouter un lecteur qui s’efforce de reconstituer et de se représenter le tableau qu’on lui décrit ; il se demandera à chaque instant où commence la description fictive, où finit la description réelle. Nous parlons du lecteur moderne, car les anciens ne paraissent pas avoir lu ces descriptions dans le même esprit que nous. Ce qu’ils y cherchaient, c’était la grâce du style, et nous, nous voudrions y trouver des renseignements sur l’art

  1. Dans certains cas, Philostrate pouvait se croire autorisé à voir deux actions consécutives, par une espèce d’action double des personnages. Un écrivain contemporain décrit ainsi le Mercure épiant Argus de Thorwaldsen (Jacquemont, Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1879) : « Le dieu est assis, nu, sauf le pétase ailé sur un tronc d’arbre recouvert de sa chlamyde. De sa main gauche il écarte de ses lèvres la syrinx dont il vient de jouer eL de la main droite tire doucement son épée du fourreau placé et maintenu sous le talon droit. Il regarde en même temps d’un air farouche, avec un mélange de haine, de mépris et de joie, l’ennemi que le sommeil lui livre et sur qui il va bondir. Une double action, celle qu’on voit et celle qu’on pressent, le saisissent au même instant. » Philostrate aurait sans doute vu Hermès bondir et tuer Argus.