Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/202

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visation. En effet, les idées se présentent dans un certain désordre calculé ou volontaire ; il arrive assez souvent que Philostrate, jetant les yeux sur un tableau, nous décrive en deux mots la scène représentée ; puis il explique le sujet, rappelle la légende ou l’histoire à laquelle il est emprunté, et revient à sa description pour la compléter. Rien de plus naturel ce semble, chez un homme qui improvise ; il parle d’abord de ce qui le frappe le plus et le plus soudainement ; les réflexions, les commentaires viennent ensuite ; en parlant, il comble peu à peu la lacunes qu’il a comme laissées derrière lui, dans une exposition faite à la hâte et sans méditation préalable.

Le style présente aussi un caractère analogue[1]. À une certaine simplicité il mêle une affectation singulière. Il est riche en mots et en tournures poétiques ; mais la phrase dans son allure générale conserve un air de négligence. Ses expressions sont souvent empruntées à Euripide et à Pindare ; mais la construction grammaticale se brise souvent, comme dans Xénophon. On cherche vainement les mots dont la présence serait nécessaire, sinon pour la clarté, du moins pour la régularité ; la phrase, au lieu de former un cercle parfait, où chaque membre soit à sa place, semble se compléter, à mesure qu’elle se déroule, admettant de nouvelles pensées, comme rencontrées sur la route. C’est sans doute pour cette raison que Suidas vante la grâce de Philostrate ; cet éloge nous fait sourire, quand nous pensons à son atticisme exagéré et à son luxe d’expressions poétiques ; mais il est mérité si nous considérons uniquement la structure de la période. Le sophiste veut évidemment paraître sans effort abondant et brillant ; il cherche un contraste piquant entre deux qualités de la forme qui paraissent s’exclure, la sévérité et l’éclat. C’est un procédé un peu puéril, si l’on veut, et manquant en lui-même de simplicité, mais qu’il manie en maitre.

  1. Voir pour l’analyse technique du langage de Philostrate Photius, Cod., 241 (p. 231, éd. B.) et l’édition des œuvres de Philostr., par Kayser qui cite Photius et le complète (Préf. VII).