Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/223

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hommages qu’il recoit ; ce n’est pas un grand homme donnant audience à ses admirateurs ; c’est le fabuliste par excellence. Les Fables figurent là comme dans l’atelier d’un sculpteur les ouvrages sortis de ses mains. Elles lui doivent tout, il ne leur doit rien, pas même un regard : ce regard d’ailleurs serait fâcheux ; il amuserait mal à propos l’esprit du spectateur, il le distrairait, il l’empêcherait de songer uniquement au génie du poète.

Une seconde question se présente ici. Ésope était-il assis ou debout ? Welcker répond sans hésiter : il était assis, mais d’ailleurs ne donne pas les motifs de son opinion ; il pensait sans doute aux philosophes et aux poètes que nous offrent les monuments de l’antiquité et qui sont presque tous représentés assis. C’est l’altitude d’Homère dans le marbre de l’apothéose : une statue, trouvée dans les jardins du Vatican et regardée comme un Ésope nous montre le fabuliste sur un siège sans dossier[1]. La statue, il est vrai, isole le personnage ; dans le tableau, il est le centre d’une composition, n’eût-il pas été naturel qu’Ésope se levât pour recevoir ses hôtes ? Trop naturel, en effet, et c’est justement ce qui doit nous empècher de le concevoir debout. Ésope, comme nous l’avons dit, ne devait point être groupé, en ce sens qu’il n’était point lié à l’action. Le lien du moins était celui qui existe entre l’artiste et ses productions, non entre l’artiste et les autres hommes qui l’admirent. La conjecture de Welcker semble donc des plus fondées.

Autre question : Ésope, suivant la tradition, était contrefait. Sans parler de la vie d’Ésope attribuée à Planude et toute remplie de contes ridicules[2], un Hermès de la Villa Albani et une lampe antique[3], nous le représentent avec un buste trop court et un corps ramassé sur lui-même. Dirons-nous qu’Ésope dans le tableau de Philostrate offrait cette apparence disgracieuse ? Plusieurs raisons s’y opposent : d’abord l’origine probablement tardive de cette légende sur la difformité d’Ésope[4], puis la pratique des artistes de l’antiqüité. Lysippe, qui avait exécuté un groupe des sept Sages de la Grèce[5], leur avait donné Ésope pour coryphée : on ne concoit guère un nain chargé d’un tel emploi, comme le remarque Welcker. La statue assise, dont nous avons parlé plus haut, n’est point celle d’un bel homme ; ce n’est point non plus celle d’un être difforme ; les traces de faiblesse physique, qu’un savant archéologue[6] a cru y découvrir, sont peu sensibles ; les regarder comme

  1. Annali dell’ Institute, 1840, p. 94, art. de Braun. Mon. inédits, III, tav. 14.
  2. Voir Welcker, Kleine Schriften, II, p. 228, Aesop eine Fabel.
  3. Mon. inéd., III, tav. 14.
  4. Welcker (Philostr. imag., p. 222) pense que cette légende est postérieure au Banquet des Sept Sages de Plutarque, où figure Ésope, et antérieure au quatrième siècle. Ses arguments n’ont pas paru décisifs.
  5. Brunck. Anal., III, p. 45, cité par Welcker. ibid, p. 222. Welcker cite aussi une statue d’Ésope par Aristodème et prétend que cette statue, étant, selon Tatien (Adv. Gr.), περισπόυδαστος, digne d’envie, ne pouvait être celle d’un homme difforme. Ici encore, la preuve ne paraît pas concluante.
  6. Braun, Ann. dell Inst., 1840, 94.