Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un moyen employé par l’artiste pour rappeler la difformité du personnage est une pure conjecture. Le Démosthène du Louvre n’est point non plus un type de vigueur et de beauté ; il ne faudrait point en conclure que l’orateur était faible et chétif, au point d’embarrasser un sculpteur et de lui faire adopter je ne sais quel compromis entre la laideur extrême et la beauté parfaite. Ésope, qui n’était point un dieu, qui ne reçut jamais les honneurs divins, n’avait point droit à des formes nobles et puissantes. Si c’est Ésope que représente notre statue, l’artiste a ignoré ou voulu ignorer la légende. Il faut en dire autant, sans nul doute, de l’artiste qui avait exécuté le tableau décrit par Philostrate ; Ésope n’était pas pour lui un esclave phrygien, mais l’inventeur d’un genre littéraire ; représenter un homme doué d’une imagination riante et d’un esprit ingénieux, tel était son objet ; une difformité, qui eût provoqué le rire, eût gâté toute cette conception. Si l’imagination populaire se plaît quelquefois à associer l’intelligence et la laideur, l’art au contraire, pour mettre l’intelligence en plein relief, oublie, cache ou corrige les défauts physiques.

Venons maintenant aux Fables, aux Mythes pour conserver le mot grec, essentiel ici ; car le genre du mot imposait le sexe aux personnages allégoriques[1]. Les Mythes, suivant Philostrate, tenaient à la fois de l’homme et de la bête ; sur ce simple détail, comment nous les représenterons-nous ? Il y a diverses façons d’allier la forme humaine à celle de l’animal, suivant qu’on veut ennoblir l’animal ou nous montrer l’homme déchu. Les dessinateurs qui ont illustré les fables de La Fontaine ou autres, considérant que les fables sont une critique de nos mœurs, se sont souvent bornés à dresser l’animal sur ses pattes, à lui donner une attitude qui rappelle l’homme, à jeter sur lui nos vêtements ; quelquefois, tout en conservant le corps de l’homme, ils ont profondément modifié les parties nobles, la tête, le cou, la poitrine, de manière à les rendre semblables aux parties correspondantes chez telle ou telle bête. Dans le tableau qui nous occupe, le cas est bien différent : les Mythes ne sont pas des personnages de fable, ce sont les fables elles-mêmes ; s’ils ont quelque chose de l’animal, ce sera, non pour faire la satire de l’homme, mais pour rappeler les êtres qu’elles mettent en scène. Il est bien permis à l’allégorie, qui dit une chose pour en faire entendre une autre, d’avoir une double nature ; mais il ne lui est pas permis de sacrifier un caractère essentiel à un caractère accessoire ; or l’essentiel pour les Mythes est de se montrer à Ésope sous la forme d’êtres capables de reconnaissance et d’affection, gracieux même et charmants, puisque leurs attraits feront l’éloge du génie d’Ésope. Nous sommes ainsi amené à croire que les Mythes étaient d’aimables adolescents, rappelant la nature de l’animal, soit par des cornes, soil par la forme des oreilles, soit par des jambes velues, des

  1. Dans le marbre de l’apothéose d’Homère, M. P. Clém., I, tav. 8, Μῦθος, la fable, la fiction est représentée par un adolescent.