Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/228

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le sol au pied des murailles, eût été un objet de terreur et d’épouvante ; il n’eùt point charmé le spectateur par sa beauté, et, loin de rappeler à l’esprit l’idée d’un sacrifice volontaire, il eût l’ait penser à quelque accident comme il peut en arriver à tous les sièges ; c’eùt été la mort d’un guerrier vulgaire, et non celle d’un héros.

Maintenant, comment nous représenterons-nous l’ensemble du tableau ? Ménæcée, sans aucune difficulté, occupe le premier plan ; c’est le personnage principal, sinon unique ; tout le reste du tabieau n’a d’autre objet que d’expli- quer sa présence et de le faire valoir. Placez entre lui et le spectateur les lignes d’armée qui s’échelonnent, en se masquant en partie les unes les autres ; quelle taille aura Ménœcée ? Nous sera-t-il loisible d’étudier sa beauté, comme le fait Philostrate, et comme chaque spectateur doit le faire, pour recevoir dans toute sa force l’impression du sujet ? Mais, d’un autre côté, en mettant Ménœcée le plus près possible du spectateur, où seront les assiégeants, où sera Thèbes elle-même ? Nous ne voyons guère qu’une sup- position admissible. La ville de Thèbes placée à droite ou à gauche dans le tableau déploie ses murailles en perspective ; rangés en face des remparts, les sept corps d’armée, partant du premier plan, s’enfoncent dans le tableau, de manière à être vus, non de dos, mais de flanc. Une rivière, celle qu’ali- mente la source de Dircé et qui était très profonde, comme le remarque Euripide (1), sépare de la ville, entourée d’ailleurs par un fossé, les assiégeants, retranchés peut-être derrière une enceinte de chars de guerre (2). Ménæcée se tient au pied des remparts, à un angle du tableau ; Amphiaraos, sur le visage duquel Philostrate a pu lire le découragement, Capanée qui se fait remarquer par un air de mépris, ne peuvent guère être bien au delà du pre- mier plan ; Amphiaraos occuperait l’angle opposé à Ménœcée puisqu’il est dit de lui qu’il s’approche de l’armée rangée en bataille, Gapanée serait debout, le plus près possible des murailles de Thèbes dont il mesure de l’œil la hauteur.

En recomposant ainsi ce tableau, nous avons, selon nos idées modernes, accordé le moins de place possible à la convention. Mais on sait que la con- vention a été plutôt recherchée qu’évitée par l’art antique. Dans la peinture même qui nous occupe, c’était déjà une convention que de représenter les sept portes de Thèbes ; de quelque façon, en effet, que l’on place la ville, il est bien difficile que les portes, qui n’étaient pas sans doute toutes d’un mème côté, fussent toutes apparentes. Mais cette difficulté n’était point faite pour embarrasser un artiste ancien ; il plaçait ses sept portes à la suite l’une de l’autre, dans la partie des murailles qu’il laissait voir ; la ville était ainsi reconnue ; son but était atteint. C’était une autre convention que de représenter Ménœcée entièrement nu ; mais ici l’art grec et l’art moderne

(1) Les Phéniciennes, v. 130. (2) lbid., 133,