Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/231

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

haut. Mais ce qu’il faut surtout admirer dans cette œuvre, au point de vue de la composition, c’est la manière heureuse dont les groupes sont répartis ; ils cachent une partie des bras et des cuisses du colosse, mais laissent voir dans toute sa nudité et sa force le torse du dieu.

Dans le tableau de Philostrate, la poitrine du dieu devait disparaitre en partie masquée par un groupe d’enfants, puisqu’il est dit que les Coudées trouvent en cet endroit des fleurs pour s’en tresser des ceuronnes. Les enfants ne jouent pas avec les animaux qui habitent les eaux du Nil, mais avec les sistres, dont les bords du fleuve aiment à retentir. Enfin, au lieu d’être tous vifs et remuant{s, quelques-uns d’entre eux se livrent au sommeil.

Ces différences nous permettent-elles de conclure en faveur du sculpteur ou du peintre ? Le sculpteur a évidemment ici un grand avantage ; son œuvre est devant nos yeux, et la beauté en est telle que tout changement dans la place des groupes, tout détail ajouté ou supprimé, nous paraîtrait plutôt la diminuer que l’augmenter. Il paraît bien, d’après la description de Philos- trale, que les enfants prenaient leurs ébats avec un peu de confusion et ca- chaient ce qui aurait dù rester découvert pour le plaisir des yeux ; mais la peinture aime moins la symétrie que la sculpture ; elle se prète mieux aux caprices et à la fantaisie de l’artiste ; dans le sujet principal, elle accorde plus de place à l’incident ; elle est moins éprise des formes humaines et plus cu- rieuse des ornements, comme les sistres et les guirlandes. Elle eût admis le crocodile et l’ichneumon que nous n’aurions rien trouvé à redire, bien que Philostrate applaudisse à l’absence de ces animaux, qui auraient, dit-il, pu effrayer les enfants ; c’est là une réflexion de commentateur qui aime à prè- ter de l’esprit à l’arliste ; le peintre sans doute, ou n’y avait pas songé, ou avait voulu s’écarter de la voie commune, ou encore avait craint quelque surcharge. Le groupe du Vatican ne saurait être critiqué pour nous montrer ces animaux pas plus que le tableau de Philostrate pour les dérober à notre vue. Ce sont là des ressources de composition qui sont communes au peintre et au sculpteur, mais qu’ils sont libres tous les deux de rejeter.

Mais, dira-t-on, le sommeil de quelques-uns de ces enfants n’est-il pas contraire au sens même de l’allégorie qui fait le sujet de ce tableau (1) ? Les Goudées représentent le flot qui monte et non l’eau qui dort ; monter sans cesse, eux aussi, s’agiter du moins et folâtrer sans trêve ni repos, tel doit être leur rôle. On pourrait répondre que, lorsque le fleuve a atteint la hau- teur d’un certain nombre de coudées, seize par exemple, il demeure station- naire, et que par conséquent, les enfants, qui représentent la crue, peuvent aussi se reposer et même dormir. Mais il y a mieux à dire : une telle objection nous paraît inspirée par un complet oubli des procédés de l’art. Pour n’être pas froid, pour vivre de sa vie propre, le personnage allégorique ne doit pas s’enfermer dans les bornes étroites d’un symbole ; un enfant, quelles que

(1) C’est l’objection de Friederichs, Die Phil. Bilder, p. 163.