Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/232

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soient d’ailleurs les idées qu’il représente dans une œuvre d’art, doit être avant tout un enfant ; il faut que nous puissions l’admirer pour lui-même et non pas seulement pour la conformité de ses gestes et de son attitude avec quel- que fait de l’ordre moral ou physique ; une logique trop rigoureuse serait ici le fléau de la poésie ou de l’art ; quelle gêne pour l’artiste s’il fallait tout com- biner, actions, mouvements, place, expression, direction du regard, de ma- nière à ne rappeler, par tant de moyens, qu’une seule et même chose ! Cette unité pourrait charmer l’esprit ; elle glacerait le sentiment. Le sculpteur qui a exécuté le groupe du Vatican a peut-être été plus fidèle à l’allégorie que le peintre de Philostrate : mais cette fidélité n’est point et ne pouvait être abso- lue. Les enfants qui jouent avec l’ichneumon et le crocodile, ne sont plus les coudées, à proprement parler ; leur rôle serait de monter, de monter sans cesse. Beaucoup sont sur le même plan ; chacun devait avoir sa place déter- minée par le degré de hauteur qu’il annonce. D’ailleurs il faut les compter pour reconnaître en eux les coudées du Nil ; et si nous n’avions pas Pline l’An- cien ou Philostrate, nous aurions pu méconnaître assez longtemps l’inten- tion de l’artiste. Un interprète moderne (1), qui n’a pas trouvé l’allégorie assez claire, a proposé de représenter la crue du Nil par un génie mettant le doigt sur un nilomètre. Si l’on ne veut pas en effet que des enfants, même allégoriques, représentent ayant tout les goûts de leur âge, il faut adopter ce système, contraire à toute poésie.

Outre le Nil et les enfants, Philostrate mentionne dans sa description un démon éthiopien, espèce de géant qui règle le cours du Nil. Dans quelle at- titude nous représenterons-nous ce personnage ? Un critique a fait remar- quer que la présence d’un pareil géant, touchant le ciel de sa tête, devait être d’un effet étrange dans le tableau (2). Oui, sans doute, si le géant, placé au premier plan, occupait tout l’espace entre le bord supérieur et le bord inférieur du tableau. Mais rien ne nous force à faire cette supposilion. Le dieu était vu dans le lointain ; il posait son pied sur l’horizon ; sa tète se perdait dans les nuages ; il paraissait grand sans couvrir, dans le champ de la peinture, un espace considérable. Si par exemple, quoique relégué au dernier plan, il avait les dimensions du Nil, l’imagination du spectateur de- vait sans peine le concevoir comme un être d’une taille prodigieuse (3).

Les archéologues ont cherché l’origine de cette croyance à un démon égyptien. Démocrite et d’autres philosophes de l’antiquité pensaient que la crue du Nil devait être attribuée aux pluies abondantes qui ont lieu en Ethio- pie. Mais les pluies sont envoyées par le Verseau, et le Verseau est, aux yeux des Grecs, un jeune homme qui penche une urne. Voilà déjà l’inondation de l’Égypte qui est l’ouvrage d’un génie céleste, D’un autre côté, pour régler le

(1) Museum Worsleyanum, Class, LI, pl. IL. (2) Friederichs, die Philostratischen Bilder, p. 43 et 163. (8) C’est aussi lo sentiment de Brunn (Journal de Fleckeisen, 1871, p. 21).