Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/236

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senter ces amusements ou autres semblables, il aurait usé de son droit ; mais il nous montre deux enfants qui se renvoient une pomme, après y avoir dé- posé un baiser, ce qui est la marque d’un amour naissant, et deux autres enfants qui lancent une flèche l’un contre l’autre et tendent leur poitrine- pour recevoir le trait, ce qui témoigne d’un amour en pleine activité, et désireux de se fortifier par l’exercice. Ces deux groupes, surtout le dernier (car pour le premier on pourrait encore contester l’interprétation de Phi- lostrate), introduisent le symbole dans la composition, et par ce seul fait l’unité est détruite. Ici ce sont des enfants qui prennent leurs ébats ; là ce sont des Amours jouant, comme il leur convient, leur rôle de personnages allégoriques. Dirons-nous, pour excuser le peintre, que les explications de Philostrate sont incomplètes et que tout est symbole dans le tableau ? mais des Amours, dignes de leur nom, ne sauraient dormir ; des Amours qui se pren- nent au sérieux ne sauraient mordre dans une pomme, leur attribut ; des Amours qui représentent une passion distincte s’oublient quand ils luttent entre eux et que l’un mord l’oreille de l’autre.

Ces considérations nous paraissent plus spécieuses que justes. Elles sup- posent d’abord une théorie de l’art, sujette à contestation. Le personnage allégorique a, pour ainsi dire, une double nature, il est à la fois une idée et un être vivant ; les Amours représentent nos désirs, mais en revêtant les formes de l’enfance, ils en prennent aussi les goûts, les caprices, les passions ; ce sont là deux éléments divers ; qu’un artiste accentue chez l’un de ses Amours le caractère du symbole ; qu’il mette en relief chez l’autre les traits distinctifs de l’enfant, de manière à nous donner dans un même tableau l’idée parfaitement claire de cette double nature, n’a-t-il pas atteint son but ? Dirons-nous que l’unité est brisée, parce que tout n’est pas rigoureuse ment allégorique dans une composition qui admet l’allégorie ? La véritable unité du personnage allégorique ne consiste-t-elle pas dans l’union d’une vie propre et du symbole ? Mais ici nous n’avons pas.même à opposer une théorie à une autre. Dans le tableau décrit par Philostrate, toutes les actions des Amours paraîtront allégoriques, si au lieu de considérer les Amours comme les génies des désirs amoureux, on les regarde comme les génies de tous nos désirs, quels qu’ils soient. Et c’est bien ainsi que l’a entendu Phi- lostrate ; nous en avons pour preuve la première phrase de sa description ; « Ces enfants des Nymphes, dit-il, sont innombrables, en raison des innom brables désirs de l’homme. » Or il n’est dans la peinture aucun enfant dont l’action ou l’attitude n’ait quelque rapport avec un de nos désirs : Les Amours récoltent des fruits, poursuivent un lièvre, désir de jouissance el de possession, sans compter que les fruits sont un symbole de fécondité et que le lièvre est un animal particulièrement consacré à Aphrodite. Des Amours, armés de l’arc, offrent leurs poitrines aux coups l’un de l’autre ; désirs qui cherchent à se fortifier, dit Philostrate ; en tout cas désirs réciproques, ac-