Page:Une galerie antique de soixante-quatre tableaux (Philostrate de Lemnos, trad. A. Bougot).pdf/243

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que les oiseaux, nés des cendres de Memnon, les oiseanx memnonides, ve- naient humecter leurs ailes (1). A quel moment la patrie de Memnon fut- elle ainsi transportée par la légende en Afrique ? on ne le saurait dire d’une façon précise, toujours est-il qu’à une certaine époque, sans doute posté- rieurement au règne d’Alexandre, Memnon cesse d’être le roi de Suse, ha- bite Méroé, et devient le noir Memnon. Les artistes adoptèrent-ils le nou- veau type, offert par la poésie ou la légende à leur imitation ? Le combat d’Achille et de Memnon, la psychostasie ou pesée des âmes, les lamenta- tions sur le corps du héros, l’enlèvement du cadavre, nous sont représentés sur les vases (2) ; nulle part Memnon n’a les traits ni la couleur d’un Afri- cain. Mais la plupart de ces peintures, qui ont un caractère archaïque des plus marqués, ont été exécutées, ou reproduisent des peintures exécutées à une époque où Memnon était encore un Éthiopien d’Asie. On peut présu- mer, ce semble, avec quelque vraisemblance, que le type, consacré par l’art primitif, ne fut jamais abandonné complètement ; mais aussi comment affirmer, même en l’absence d’œuvres d’art, que jamais un artiste ne dut être tenté de peindre le nouveau Memnon des historiens et des poètes ? Virgile, décrivant les peintures du temple de Junon, eùt-il parlé du noir Memnon, nigri Memnonis arma (3), s’il ne l’avait vu ainsi représenté dans les peintures qui décoraient de son temps les portiques de Rome ou l’atrium des patriciens et dont les sujels étaient souvent empruntés aux poèles de la guerre de Troie ? Dans tous les cas, qu’il traduisit ici quelque poète alexan- drin ou qu’il songet à quelque œuvre d’art déterminée, il ne croyait pas qu’un visage noir fût d’un mauvais effet en peinture. D’ailleurs, si nous nous en rapportons à l’interprétation d’archéologues compétents, comme Gerhard et Panofka, il faut reconnaître qu’au moins sur un vase, Mem- non est représenté comme un nègre (4). Accuserons-nous après cela Phi- lostrate ou l’artiste dont il décril le tableau d’être en contradiction avec la pratique de l’art grec tout entier, en nous présentant sous le nom de Mem- non un véritable Éthiopien de Méroé ? La seule conclusion que nous puis- sions tirer de ce fait, c’est que la composition de cette peinture, quel qu’en soit du reste l’auteur, a été conçue après le règne d’Alexandre, sous l’in- fluence d’une nouvelle légende.

L’armée expose Memnon, dit le texte. Est-ce sur un lit de parade, selon l’usage grec ? est-il encore gisant sur le sol, comme tendent à le faire croire

{1) Ovide, Mét., XVII, 601 ; Paus., X, 31, 3 ; Pline, X, A. N., 26 (31).

(2) Voir Overbeck, Die Bildwerk ; Millingen, Unédit. monum., p. 11-16.

(3) Virg. Aen., I, 459.

(4) Gérard. 4. F., LXI ; Panofka, Delphi w. Mel., pl. XI. Cf. Lowenherz, Die Aethiopien. L’auteur de cette étude cite d’ailleurs un grand nombre d’œuvres d’art qui représentent, sinon Memnon, du moins des nègres. Dès lors pourquoi Memnon, à l’époque où il passa pour un ee d’Afrique, n’aurait-il pas été représenté avec tous les signes caractéristiques de lnraco noire ?